2 ans de tour du monde sans avion, sans valise et sans hôtel – en devenant entrepreneur à succès
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Transcription texte de l’interview :
Olivier Roland : Il a raté sa prépa.
Steven Herteleer : Et là, je le vis évidemment très mal. 2/20, tu as vraiment l’impression d’être… Enfin, 2, c’est nul ! Ce n’est même pas terrible, c’est : tu es un débile.
Olivier Roland : Il choisit son cursus à la faculté au hasard, il crée des produits qui ont fait gagner beaucoup d’argent à de grandes entreprises.
Steven Herteleer : J’avais créé un produit qui est devenu un best-seller, qui a fait des dizaines de millions d’euros chez L’Oréal.
Olivier Roland : Il a vécu un moment difficile avec sa mère alors qu’elle était atteinte d’une maladie grave.
Steven Herteleer : Je me rappelle de ce que ma mère me dit. Elle m’a dit « j’ai raté ma vie ».
Olivier Roland : Il est allé au Mali le lendemain de son enterrement, ce qui lui a permis de prendre beaucoup de recul.
Steven Herteleer : ça a changé complètement ma vision. Je me suis dit « mais pourquoi il me demande cela ? » Alors, sûrement un peu de la conversation, il ne savait pas trop quoi dire, mais aussi une philosophie de toute l’Afrique.
Olivier Roland : À son retour, il décide de démissionner d’un boulot très bien payé à L’Oréal et devient photographe, ce qui lui permet d’accumuler 10 000 euros qu’il va utiliser pour accomplir son rêve : faire le tour du monde. Oui, mais pas n’importe comment, en suivant plusieurs règles dont les suivantes : 1ère règle : sans prendre l’avion, 2ème règle : sans dépenser un seul euro dans l’hébergement, et 3ème règle ?
Steven Herteleer : C’était sans bagage.
Olivier Roland : What ?
Steven Herteleer : Aucun bagage.
Olivier Roland : D’accord. Tu t’es dit « c’est trop facile de voyager normalement ». Zéro bagage ?
Steven Herteleer : Oui, donc j’avais mon passeport, carte bleue.
Olivier Roland : Mais tu avais un sac quand même.
Steven Herteleer : Non, aucun sac. Pas de fringues de rechange.
Olivier Roland : Un sac banane, même pas ?
Steven Herteleer : Rien du tout. Pas de téléphone.
Olivier Roland : Pas de téléphone ?
Steven Herteleer : Aucun téléphone. Rien du tout.
Olivier Roland : À son retour, cela le conduit à faire des boulots improbables.
Steven Herteleer : Les mecs, je leur ai dit « Qui est chaud pour un tatouage, gratuit ? Ça se passe dans ma cabine », et là, il y en a 2-3, les gros bourrins de la salle des machines, genre moi, je suis chaud et tout. Et j’avais un petit carnet où j’avais fait des dessins parce que j’avais fait 10 ans de dessins de mes 10 à 20 ans. Donc, j’avais plein de dessins. En gros, je peux vous faire cela. Et les mecs passaient dans ma cabine et ils choisissaient leurs dessins, et je leur faisais. Mais je n’avais jamais tatoué. Et puis, je ne savais pas à quel point c’était dur de tatouer.
Olivier Roland : Et même à prendre une photo de François Hollande.
Steven Herteleer : En effet, j’ai shooté François Hollande dans son bureau.
Olivier Roland : Il finit par lancer un business sur le web, et après moult péripéties, il cartonne.
Steven Herteleer : Cela m’a sauvé. Cela m’a complètement sauvé. C’est-à-dire que ça m’a redonné 6 mois d’oxygène, cela m’a payé tout. Alors, j’ai gagné 150 000 euros sur ce lancement-là.
Olivier Roland : Cette vidéo est une conversation avec Steven Herteleer, photographe, entrepreneur, marketeur, grand voyageur. C’est une longue conversation, la plus longue jusqu’à présent dans ce podcast. Mais honnêtement, elle m’a semblé trop courte, plutôt comme l’introduction d’un prochain épisode, tant elle était passionnante.
Je vous recommande de vous y plonger en la savourant comme j’ai pu la savourer, et n’hésitez pas à l’accélérer si besoin. Puis, une fois que vous l’aurez écoutée, dites-moi si comme moi, cela vous semble aussi comme l’intro d’une prochaine vidéo. C’est parti.
<Générique>
Olivier Roland : Salut Steven !
Steven Herteleer : Salut ! Ça va ?
Olivier Roland : Ça va. J’adore démarrer les interviews de ce podcast avec la même question : est-ce que tu as l’impression d’avoir une vie atypique ?
Steven Herteleer : Oui. Clairement. Alors, dans le mot « avoir une vie atypique », il y a le mot « avoir », comme si elle m’était tombée dessus et qu’on me l’avait donnée. C’est juste le mot « avoir » que je challengerai. Donc, je pense avoir construit une vie atypique, je pense avoir visé depuis toujours une vie atypique et je pense être inspiré par tout ce qui est atypique, et de fait, je pense avoir une vie atypique, mais ce n’est pas genre j’ai eu cette vie.
Olivier Roland : Tu te l’es construite.
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Et qu’est-ce qui te fait dire que c’est atypique ?
Steven Herteleer : La tête de mes amis un peu quand ils arrivent ici, quand je leur explique mon métier. Il y a une phrase que j’ai mise en amorce de mon Instagram, c’est « Ma grand-mère croit que je n’ai pas de métier », c’est-à-dire que quand j’essaie d’expliquer ce que je fais à ma grand-mère, c’est genre « OK, donc tu n’as pas de métier au final ». Tu sais, tous les métiers modernes qui peuvent être l’influence, voyager dans le monde entier, former des gens sur Internet… ce ne sont que des métiers assez nouveaux, que les anciennes générations ne comprennent pas trop, c’est cela qui m’attire le plus. C’est ce qui m’excite le plus. C’est vers cela que je vais systématiquement.
Olivier Roland : Oui. Moi, j’aime bien dire que tous les 6 mois, je dois réexpliquer à ma famille ce que je fais parce que ce n’est pas facile de comprendre. On fait partie de ces nouveaux métiers qui ont vraiment émergé récemment grâce à Internet et ce n’est pas toujours facile de les expliquer.
Steven Herteleer : Oui. Toi encore plus, parce que tu fais partie aussi de ceux qui expliquent aux autres infopreneurs les métiers qui vont arriver, donc tu es à la pointe de la recherche sur cela. Mais clairement dans nos métiers d’infopreneuriat, de tout ce qui est accompagné avec Internet, on est que sur des métiers que personne ne comprend. Et encore aujourd’hui, il y a des métiers comme ça que personne ne comprend aujourd’hui : le Métaverse, les NFT, les Bitcoins il y a 2 – 3 ans. En fait, à chaque fois, il y a des métiers entiers qui arrivent, qui se construisent, d’autres qui disparaissent du jour au lendemain parce que cela ne marchait pas. Oui, clairement, je pense qu’on est à cet endroit-là.
Olivier Roland : C’est vraiment quelque chose que je vais aimer explorer avec toi, c’est comment tu as fait pour bâtir cette vie atypique ? Est-ce que c’est quelque chose qui te plaît ? Comment on fait pour avoir le mindset pour cela ? Quels sont les avantages, les inconvénients ? Et ce genre de choses.
Déjà, une chose aussi que j’aime beaucoup demander, c’est : est-ce que tu as eu un parcours scolaire ? Est-ce que les diplômes que tu as eus sont en adéquation avec ce que tu fais aujourd’hui ?
Steven Herteleer : Alors, d’une certaine manière, les études que j’ai faites m’ont servi un peu comme des munitions que j’utilise au bon moment. Je ne suis allé que vers des études où je savais pertinemment que ce n’était pas le métier je voudrais faire.
Par exemple, j’ai étudié la finance, j’ai un master en finance et management en école de commerce. J’ai étudié le droit, donc j’ai fait du droit à la Sorbonne. J’ai étudié aussi la programmation informatique en Allemagne, j’ai fait un diplôme, en Erasmus.
Et en fait, ce ne sont que des métiers très techniques qui donnent les règles du jeu parce que le droit, la programmation informatique et la finance, ce sont pour moi des choses qui permettent de bien comprendre quel est le jeu dans lequel on se trouve, quelles sont les règles du jeu et comment tu peux mieux évoluer dans ce monde.
Ce sont des compétences extrêmement techniques où je me suis très vite ennuyé. Mais si tu le taffes bien, il faut 10 ans – 20 ans pour bien maîtriser le droit, mais en un an de droit, tu peux bien comprendre une grosse partie des règles du jeu. Comme la programmation informatique, c’est une vraie logique. Les logiques de boucle, les logiques de documentation, de facteur que tu vas pouvoir réutiliser…
Et aujourd’hui, cela me sert vraiment souvent. Dès que je dois négocier un contrat, hop ! Il y a des trucs qui reviennent sur le droit. Dès que je dois monter un site Internet ou quelque chose en ligne, je peux parler aussi avec un programmeur. Donc, il n’y a aucun des métiers que j’ai étudié à la fac ou en école qui me sert aujourd’hui ou que j’utilise vraiment comme métier. Mais tous, j’y fais appel plusieurs fois par an ou même par mois pour certains des trucs que j’ai appris.
Olivier Roland : C’est une démarche très intéressante ce que tu nous partages là. C’est que tu ne t’es pas dit « je vais étudier cela parce que je veux en faire mon métier », ton objectif, c’est d’avoir les bonnes fondations pour pouvoir te construire ton propre métier, c’est cela ? Tu te dis « J’ai besoin de m’y connaître en droit parce que sans droit, on ne sait pas se défendre à la société ». La programmation, on est entouré d’informatique. Il y avait quoi d’autre, tu as dit ?
Steven Herteleer : Programmation, droit, finance.
Olivier Roland : Finance parce que la finance, sans la finance… D’ailleurs, ce que je dis aussi dans mon livre, c’est que l’école fait un très mauvais travail pour enseigner les finances personnelles aux gens, il faut faire vraiment un cursus spécialisé pour cela.
Et le quatrième ?
Steven Herteleer : Je pense que ce sont les trois que j’ai cités, mais il y en a plein d’autres. En fait, dans toutes les options que j’ai pu choisir, j’ai pris allemand par exemple, LV1, en me disant que jamais de la vie, j’irais apprendre l’allemand, quitte à être bloqué. Par contre, je savais que l’anglais, automatiquement, je l’apprendrais et l’espagnol aussi. C’est-à-dire que l’espagnol est tellement dans le monde entier, je me suis dit « ce n’est pas à l’école où il faut que j’apprenne l’espagnol » vu que cela va me tomber dessus naturellement dans mes voyages, puisque je voulais déjà voyager. Mais l’allemand, je me suis dit « c’est ça qu’il faut ». Et ce serait aujourd’hui, j’aurais pris le chinois, je pense. Mais à l’époque, tu vois, j’ai 38 ans aujourd’hui, donc en 2000, c’était l’allemand.
Olivier Roland : Tu t’es dit « Je ne vais jamais l’apprendre naturellement, donc il faut que je me force pour cela. » Et tu es content de l’avoir fait aujourd’hui ?
Steven Herteleer : Avec du recul, je n’aurais pas pris tous les mêmes choix. Je pense que je n’aurais pas pris l’allemand, j’aurais potentiellement pris l’espagnol à l’époque. En tout cas, ce n’était pas assez visionnaire de choisir l’allemand parce que c’est trop niché, et aujourd’hui, cela ne sert absolument à rien.
Et puis aussi, ce que je te dis aujourd’hui, c’est après des années de réflexion en regardant a posteriori et en m’interrogeant moi-même sur pourquoi j’ai fait ces études-là. Quand j’étais dedans, c’est juste un feeling et je me dis « attends, anglais, allemand, c’est l’allemand. Qu’est-ce qu’il faut que j’étudie ? » Tu vois, j’avais 20 ans ou 18 ans, il faut que tu choisisses un cursus. « Vas-y, je vais prendre une prépa d’école de commerce parce que c’est très générique. » Et une fois dans l’école « OK, je vais prendre la finance parce que je n’aime pas cela, mais il faut quand même que je le comprenne. Donc, je vais aller vers cela, mais je sais que je ne finirai pas là-dedans. »
Au jour le jour, cela ressemblait à ça. Avec du recul, quand je regarde le point commun entre tous ces choix, je me rends compte qu’à chaque fois, j’ai fait le choix de : OK, j’acquiers un super pouvoir. En tout cas, la connaissance d’un monde que je ne vais pas maîtriser à 100%, mais pour pouvoir dialoguer avec des personnes qui vont être expertes là-dedans.
Parce qu’il n’y a rien de pire que… Par exemple, pour faire les travaux ici, tu parles avec un architecte et tu ne sais pas du tout si ce qu’il te dit est vrai ou pas, s’il a raison, s’il y a une manière d’avoir des coûts un peu différents. Et c’est le fait de baigner un peu là-dedans, d’avoir étudié un peu la loi des 80/20 à la Pareto, il faut 20% du temps pour avoir 80% des connaissances.
En finance, en droit, c’est un peu pareil. Tu passes un an intensif à la Sorbonne à faire du droit, à la fin de l’année, tu ne te rappelles pas du tout les articles par cœur, mais tu te rappelles complètement la mécanique, tu sais où aller chercher. Tu sais comment marchent la jurisprudence, les premières instances ou l’instance, ce que tu as le droit.
Olivier Roland : Tu ne sais par quel circuit passer en fonction des circonstances.
Steven Herteleer : Exactement. Et cela donne…
Olivier Roland : S’il faut faire un référé ou pas, par exemple.
Steven Herteleer : Oui. Exactement. En fait, tu passes d’un domaine où tu sais juste, il existe le droit à OK, voilà la map. Tu ne te rappelleras pas de la map, mais la map, elle est comme ça. Et quand tu as besoin d’un truc, c’est par là ou par là, et c’est ça sa profondeur, c’est ça sa taille, ce sont ça les intervenants. Et en fait tu gagnes, instantanément, tu peux faire appel aux bons trucs.
Olivier Roland : Puis, oui, cela te permet d’avoir une meilleure pertinence quand tu discutes avec les spécialistes effectivement. Je dis souvent, tu sais, que c’est un problème chez beaucoup de gens, c’est qu’ils ont l’impression que quand ils prennent un spécialiste dans n’importe quel domaine, y compris la médecine et le droit, ils peuvent tout déléguer, alors qu’au contraire, c’est un partenariat.
Steven Herteleer : Ah la la, oui.
Olivier Roland : Et tu ne peux pas tout déléguer. Si demain, tu as une maladie grave, tu ne peux pas complètement tout décharger sur ton médecin. C’est aussi à toi d’aller te renseigner pour voir s’il n’y a pas des trucs que tu peux faire en plus de ce que te recommande ton médecin, lui suggérer des idées, ce genre de chose.
Steven Herteleer : Oui. Et ça, c’est important que tu soulignes ça. Parce que moi, j’ai fait l’erreur pendant au moins 10 ans. J’adore tout ce qui est développement personnel, et parfois, tu découvres un nouveau truc qui refait toute ta vie. Et je me suis rendu compte que pendant des années, j’ai fonctionné en « je vais devenir fort dans quelque chose justement en faisant l’erreur de pouvoir déléguer et ensuite pouvoir vérifier si la personne ne faisait pas des conneries. » Je vais comprendre la finance, je vais prendre un comptable et comme ça, je pourrais observer si le comptable fait bien son boulot. Comme cela, je vais pouvoir lui dire derrière : « n’importe quoi, tu n’as pas fait ce qu’il fallait ».
Et cela fait 6 mois – 1 an à partir du moment où la boîte ici a grossi et où il y a une dizaine de personnes qui nous ont rejoints où je fonctionnais comme ça avec tout le monde. Et c’est ma copine qui m’a dit « Ça, c’est un peu piégeux cette façon de fonctionner. C’est comme si tu avais vu le truc venir, tu laisses les gens tomber dans le panneau et comme cela, tu peux leur dire qu’ils avaient tort. OK. Trop bien, donc tu as raison, sauf que tu n’as pas résolu ton problème.
Et c’est là où j’ai compris. Cette logique de bien connaître le secteur, c’est aussi une manière de pouvoir fonctionner main dans la main avec ton partenaire, de pouvoir l’aiguiller parce qu’au final, si on regarde vraiment fondamentalement le deal, tu paies un comptable, le comptable fait n’importe quoi, on s’en fout de qui a raison, est-ce qu’il s’était trompé et tu l’as vu venir ? Toi, tu veux ta compta carrée. Et lui, il s’en fout. Au pire, il se fait virer et tu prends un autre comptable. Lui, ça ne lui change rien. Donc, en vrai de vrai, même quand tu paies un expert, même quand tu le paies très cher, c’est ta responsabilité et c’est ton problème que ce soit bien fait. L’autre, il est là pour te donner du temps, de l’énergie.
Mais il y a aussi au-delà du rationnel un facteur très humain, et ça, c’est ce que j’adore aussi dans toutes les relations, le côté technique rationnelle : est-ce que tu as raison ? Est-ce que ta structure est bonne ? Est-ce que sur le papier, c’est carré ? Ça, c’est une partie. Mais il y a une autre partie extrêmement importante : est-ce que la personne t’aime bien ? Est-ce qu’il y a un bon feeling ? Est-ce qu’elle a envie de t’aider ?
Olivier Roland : Est-ce qu’elle va tout donner ? On est dans une question de motivation.
Steven Herteleer : Oui. C’est cela. Et ça, ça se joue sur des tournures de phrases, sur des postures. Est-ce que l’autre, tu le considères comme un exécutant que tu as payé cher, donc il te doit beaucoup ? Ou est-ce que c’est plutôt tu dis « Mec, tu es un génie dans ton domaine, j’ai envie de bosser avec toi. Viens, on fait le truc ensemble. » ? Comme quand tu fais une ascension de montagne, tu prends un guide, les deux doivent taffer. Le guide, il ne va pas te porter. Il va dire « c’est par là, on y va ». Et potentiellement, il est fatigué, tu vas l’aider parce que tu vas l’aider à t’amener plus loin et à se dépasser. Donc, c’est un travail d’équipe. Mais cela, il m’a fallu minimum 10 ans pour le comprendre. C’est un déblocage récent que j’ai eu, donc 100% d’accord avec cette image.
Olivier Roland : Cela va te permettre encore mieux d’utiliser toutes ces compétences que tu as développées qui sont très éclectiques et qui te permettent d’avoir une bonne base par rapport à la plupart des gens.
Steven Herteleer : Exactement. En fait, cela me permet… d’une certaine manière, c’est comme si j’avais essayé de comprendre une grosse partie de toutes les choses qui ne m’intéressent pas. Comme cela, je sais que je n’ai plus jamais à me poser la question.
Quand je l’ai fait, à l’époque, il n’y avait pas trop Internet, moi, c’était 2002. Internet, c’était le début. Il fallait vraiment être un précurseur pour voir que ça allait changer le monde. J’avais 18 ans. 18 ans, il n’y a pas Internet, tu n’as pas les réseaux sociaux. À l’époque, je m’étais juste dit « je vais finir en entreprise et, en entreprise, je veux un job haut placé. » C’était un peu flou, comme quand tu as 18 ans, je me disais « Oui, je veux être patron d’un truc quelque part ». Et je m’étais dit « moi, mes sensibilités, elles sont plutôt humaines, artistiques, créatives, mais je sais que je serais bloqué si je ne peux pas parler avec un mec en finance. »
Donc comprendre cela va me permettre de rapidement avoir compris un peu de quoi il s’agit et ne pas avoir à m’en soucier parce que d’autres le feront à ma place. Et puis, plus tard, je me suis dit « En fait, cela va me permettre de m’entourer de spécialistes et de pouvoir dialoguer avec eux. » Et là, une des dernières évolutions, c’est en effet de me dire « Cela me permet de construire, de co-construire avec des spécialistes, de comprendre 10% de ce qu’eux comprennent, mais de pouvoir vraiment parler et vraiment les challenger, au moins sur les parties logiques, rationnelles, direction, feeling. » Même si je n’ai aucune des réponses, mais j’ai au moins les questions. Et en fait, le rôle du spécialiste, c’est de t’aider sur les questions, mais en vrai, c’est le CEO qui doit se poser vraiment les questions au final.
Olivier Roland : Puis, c’est à toi d’amener aussi la motivation, la niaque pour lui. Pour le spécialiste, c’est juste un client parmi d’autres. Peut-être qu’il est un peu plus attaché à ton projet qu’à d’autres, mais déjà, ce n’est pas garanti. Et même s’il est vraiment plus motivé que par rapport à la plupart de ces autres clients, il ne sera jamais aussi motivé que toi. Donc, c’est à toi d’amener aussi un peu la créativité et lui faire varier (0:15:20) les choses. Et ça, c’est une chose que beaucoup de gens ne comprennent pas. Je pense que c’est aussi une compétence importante à développer.
Tu vois, c’est intéressant cette démarche que tu as eue. Moi, j’ai eu une démarche similaire, pas avec les études puisque toi, tu n’as pas eu la chance de rater tes études, n’est-ce pas ?
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Mais tu vois, vers 2013-2014, il y avait des haters qui étaient un peu dans le dénigrement de ce que je faisais aussi et d’autres collègues. Alors que d’autres collègues s’en foutaient, moi, je me suis dit « Je vais utiliser cette opportunité pour comprendre un peu comment le système judiciaire fonctionne. » Donc, j’ai pris les 2-3 haters les plus relou, puis je les ai mis en justice pour voir comment cela fonctionnait. Et c’est vraiment une compétence très intéressante à développer.
Il y a plusieurs manières de le faire. Et pour vous aussi. Si vous, vous ne vous voyez pas reprendre des études pour avoir cette même démarche. Il y a d’autres manières d’acquérir comme cela des compétences de base dans des sujets importants. Et clairement, je suis d’accord avec toi sur le fait que le droit, c’est important de comprendre un minimum. Là si demain, je me fais dénigrer de manière violente sur Internet, je sais exactement par cœur ce qui peut se passer. Comment ne pas perdre de temps ? À quel avocat faire appel ? C’est du self défense, en fait. Cela fait partie des compétences que tu dois apprendre en tant qu’entrepreneur ou rebelle intelligent dans ta vie pour pouvoir te débrouiller.
Steven Herteleer : Pour le segmenter aussi autrement, c’est un peu la distinction qu’il y aurait entre les hard skills et les softs skills. C’est-à-dire que moi, j’ai voulu garder tous les softs skills, de feeling, de discussion, de manière de parler avec quelqu’un pour que cela se passe bien, de comment motiver quelqu’un. Et tous les hard skills, il faut une vie entière pour devenir très fort sur un hard skills que ce soit la finance, gérer ta TVA, la fiscalité, ce ne sont que des hard skills extrêmement techniques. Et pour moi, je pense que tu es bloqué dans ta vision si tu te focus sur un hard skill. Tu es forcément limité parce que tu vas pouvoir verticaliser à mort.
Déjà si l’industrie change, ton hard skill, il peut s’écrouler puisque tu as construit une tour à un endroit où il n’y a plus rien. Puis, tu es très vite cornérisé. Et moi, ma logique, maintenant en tout cas de plus en plus, c’est de m’entourer des meilleurs sur des hard skills qui m’intéressent et de comprendre le marché, en gros.
Olivier Roland : OK. Donc, tu as combien de diplômes en tout là ?
Steven Herteleer : Alors, 4 diplômes, il y a les 3 que je t’ai donnés et on m’en a donné un autre quand je suis allé au Svalbard parce que j’ai plongé dans de l’eau à moins 2 degrés.
Olivier Roland : Au Svalbard ?
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : C’est quoi ça ?
Steven Herteleer : C’est des îles au nord, nord du monde, c’est quasiment au pôle nord.
Olivier Roland : C’est en Norvège ?
Steven Herteleer : C’est norvégien. Je crois que tu as raison.
Olivier Roland : Ah ! Oui. C’est cette fameuse île qui a un statut particulier, qui est à la fois Russe, Norvégien et un autre truc, où en gros, chacun est libre d’aller s’installer.
Steven Herteleer : Je t’avouerais que là, tu me poses une colle. Pour moi, le vol se fait depuis Oslo, donc cela doit être norvégien, au moins le drapeau. Et après, ce n’est pas impossible qu’il y ait des concessions pour d’autres pays. Ce qui est sûr, c’est un peu connu pour aussi avoir le grenier à grains du monde. C’est à une graine de chaque espèce, c’est dans un bunker. Donc, c’est au Svalbard et c’est aussi un des meilleurs endroits au monde pour voir des ours polaires. Là, j’y suis allé avec ma casquette de photographe, c’était un de mes rêves. C’était un peu pour la vanne, tu me demandes quel diplôme j’ai.
Olivier Roland : Tu as eu le diplôme de plongeur dans l’eau.
Steven Herteleer : Voilà. Il fallait, il y avait un défi. C’est genre il fallait sauter dans l’eau qui était à moins 2 degrés parce qu’en fait, l’eau de mer gèle à une température négative. En fait, on était à côté de la banquise, il faut que tu te jettes du bateau et tu plonges dans de l’eau négative. C’est tellement froid qu’on te met une corde au cas où tu t’évanouisses parce que si tu t’évanouis, on ne peut pas aller te chercher, sinon on peut s’évanouir aussi. En gros, tu sautes, on te sort, on te file un verre de vodka et après, surprise, tu as un diplôme. Donc, j’ai eu ce diplôme aussi.
Olivier Roland : Excellent. Donc, tu obtiens ton troisième diplôme. Et là, qu’est-ce que tu te dis ? Tu es parti en mode « OK, je vais peut-être en avoir un quatrième » ou tu dis là quand même « il faut que je me lance dans la vie active ».
Steven Herteleer : La course aux diplômes, je n’ai jamais été dans une course aux diplômes, mais j’étais dans une course à l’efficacité, c’est-à-dire que je ne savais pas du tout ce que je voulais faire. Là, on retourne encore, j’ai l’impression d’avoir 70 ans quand je dis cela, mais à l’époque, c’était par minitel, Ravel, la procédure Ravel. C’était par minitel que tu choisissais ce que tu allais faire. Franchement même à l’époque, c’était extrêmement ringard. Cela avait 30 ans de retard déjà à l’époque. C’était un truc de malade, enfin n’importe quoi. Et donc, il fallait choisir sur un système méga obscur ton école, ta prépa. C’était extrêmement obscur et donc il n’y avait pas Internet. La seule source d’information, c’était ta conseillère d’orientation.
À l’époque, moi dans mon lycée, c’était clairement quelqu’un qui avait été mis là au hasard. Je ne sais plus ce qu’elle m’avait dit, mais elle te fait faire un test nul, et à la fin, elle te dit « Tu dois être – je n’en sais rien – couvreur ». Couvreur, tu vois, tu es un couvreur, je ne sais pas. Je ne le sens pas trop. Bref, c’était tellement flou. Je me suis dit « OK. École de commerce, c’est suffisamment vaste, on verra plus tard. » Et en fait, quand j’ai fait la prépa, j’ai détesté.
C’est vrai que je t’ai donné les diplômes, donc on pourrait dire « Oui, le mec collectionne les diplômes, c’est allé à fond. » J’ai quand même eu pas mal de problèmes dans les études. C’est que j’ai fait la prépa HEC, ça s’appelait prépa HEC, en pensant faire du marketing. Je m’étais dit « ça va être du marketing, du droit. Ça va être sympa, tous les trucs de l’entreprise. » Et j’arrive et il s’avère que ce ne sont que des mathématiques, des mathématiques super difficiles. Là, j’avais eu mon premier 2/20 de moyenne de ma vie et là, je le vivais évidemment très mal. 2/20, tu as vraiment l’impression d’être… 2, c’est nul. Ce n’est même pas terrible, c’est genre tu es un débile, c’est : putain, je vois 2. Et il y en a dans la classe qui ont 17 et là, tu fais genre waouh, OK, c’est chaud.
Et en fait, il y a un pote à moi qui a craqué et qui est parti de prépa. Moi, ce n’est pas mon genre d’abandonner, donc j’étais en mode « je vais jusqu’au bout ». Sauf que lui, il est parti de prépa et il a fait une prépa sur la deuxième partie de l’année, prépa Sciences Po. Il m’a dit « viens, viens, ils ne prennent que les mecs qui s’en vont en milieu d’année pour bifurquer sur Sciences Po, pour tenter Sciences Po. » Et là, je me suis dit OK. HEC – Sciences Po. Je ne savais pas ce que c’était, mais il y avait une chanson des inconnus Auteuil Neuilly Passy là, truc HEC, na, na, na. « Mon avenir à moi est déjà tout tracé. Boîtes privées, Sciences PO, l’ENA ou HEC ». Et je me dis « Ah oui, je crois que c’est dans la chanson, je crois que ce n’est pas mal. Je crois que ça permet… »
Olivier Roland : D’accord. OK.
Steven Herteleer : C’est vraiment comme ça. Ce n’est pas allé plus loin et je me suis dit « OK. Sciences Po, ça me paraît pas mal ». Je fais le truc. Donc, je finis l’année avec les cours de Sciences Po, les cours étaient géniaux. Je fais les concours. J’ai les concours, mais je ne le sens pas du tout. Genre ce n’était pas la vibe, je ne ressemblais pas aux autres étudiants. En fait, je pense que mon rêve à l’époque, c’est que je voulais changer le monde. C’était mon but. Je pense que quand tu as 20 ans, tu as une énergie où tu veux changer le monde. Tu as les réponses, tu vois, tu débarques dans le monde un peu comme dans n’importe quel projet. Quand tu es nouveau sur un projet, cela te saute aux yeux tout ce qu’il faut changer. Donc là, tu débarques dans le monde à 18 ans, tu dis « mais les gars, la politique, il y a ça qui ne va pas. L’éducation, ça marche comme ça. »
J’avais plein de réponses en tête. Et en fait, je pense que pendant la prépa Sciences Po, je me suis rendu compte que Sciences Po, en tout cas à l’époque, et puis après, je n’ai pas fait Sciences Po donc, peut-être que s’il y en a qui ont fait Sciences Po ils me diront « Non, non. Ce n’est pas exactement comme ça ». Mais mon feeling à l’époque, cela a été que ce n’est pas par la politique que tu pouvais changer le monde, que finalement, ton pouvoir était déterminé par le vote et le vote était déterminé par ce que tu vas dire pour avoir les bulletins. Et donc, il y avait une dissonance entre l’exacte vérité, c’est ce que je recherche en permanence, vraiment la vérité.
Par exemple, moi, je suis d’accord pour faire un débat et si j’ai tort, pour dire il n’y a aucun problème, tu as raison, tu as un meilleur argument, OK. Je n’ai pas d’ego sur cela. Je suis tellement en recherche de vérité, c’est vraiment ce qui m’intéresse.
Et avec Sciences Po, on avait une grande distance par rapport à cela. Avec Sciences Po, ce que j’ai appris, c’est qu’il faut regarder ce qui est dit, les courants, faire des calculs, voir un peu le truc et orienter un peu ce que tu vas dire.
Donc, je me suis dit « ce n’est pas par Sciences Po que je vais pouvoir changer le monde ». Pour moi, le temps, c’est une ressource, elle est finie. Et tu as une manière d’augmenter le temps, c’est d’arriver à faire les choses plus vite, qu’une seule fois, d’accélérer, de doubler, de sauter des étapes ou de faire deux, trois trucs en même temps. Et j’essaie de jouer tout cela en même temps.
Et là, je me suis dit « OK. Même pas question que j’arrête la prépa et que je ne rentre pas à Sciences Po, si c’est pour recommencer la fac à 0 ». Dans ma valeur du temps, ce n’est pas possible.
Et donc, je suis allé à la fac et j’essaie de rentrer en deuxième année, on m’a dit « non, ce n’est pas possible ». J’ai dit « mais regardez mes notes en prépa ». Alors, je n’ai pas montré mes notes de maths, je n’ai pas montré le 2, mais j’ai montré mes notes à Sciences Po, j’ai montré que j’étais reçu et tout. Enfin, je voulais rentrer en deuxième année directement pour avoir l’âge des gens dans ma classe, et on m’a dit « OK, mais il faudrait négocier avec le recteur ». J’ai négocié avec le recteur, il m’a dit « D’accord, passez au secrétariat ». J’ai une lettre du recteur. Et là, littéralement, c’est à peu près du même niveau que quand j’ai choisi Sciences Po avec la chanson des inconnus. J’arrive pour m’inscrire, et alors, je ne m’étais tellement pas renseigné que pour moi, il y avait S, ES et je ne sais plus ce que c’était.
Olivier Roland : Comme en terminale.
Steven Herteleer : Pour moi, c’était cela. Pour moi, il y avait des maths, de l’éco et puis, il y avait aussi d’autres trucs qui ne m’intéressaient pas, genre médecine et sociologie. Dans ma tête, c’était cela.
Et donc, je me dis, je vais regarder le menu des 4-5 trucs et puis je vais en choisir un parmi les quatre ou cinq qui vont me sauter aux yeux. Du coup, la fille, je lui dis « Voilà, j’aimerais m’inscrire. Le recteur, il me dit que je peux entrer en deuxième année, voilà le courrier, donc j’aimerais m’inscrire ». Et la femme, elle me dit « D’accord, mais vous voulez vous inscrire en quoi ? » Je dis « je ne sais pas, il y a quoi ? » Elle dit « mais je ne vais pas pouvoir tous vous les dire, il y en a des centaines de cursus ». Je fais « non, mais il y a éco, truc et tout ? » Elle fait « Non. Il y a vraiment beaucoup, beaucoup, beaucoup de cursus ». Je dis « OK. Et c’est quoi le premier par exemple ? » Elle me dit « AES ». Je fais « D’accord, il y a quoi dedans ? » « De l’éco, du droit » « Oui, je prends cela »
Olivier Roland : Tu es sérieux, tu as pris le premier ? D’accord.
Attends, c’est intéressant. Je fais une petite pause là parce que là, tu as vraiment une démarche de rebelle intelligent. En allant négocier pour sauter une année, tu ne t’es pas laissé prendre par le système, tu as essayé de hacker le système. Mais en même temps, il y a à la fois ce côté justement intelligent où tu vois les failles, mais aussi ce côté très nonchalant où tu ne prépares pas suffisamment et tu te laisses un peu porter par la vie. Tu penses que c’était plutôt un atout cela ou pas ?
Steven Herteleer : J’en ai fait un atout aujourd’hui, c’est-à-dire que j’ai compris que je fonctionnais comme ça. Maintenant, après avoir bossé dans plein de contextes différents, je me suis rendu compte que si tu veux me faire échouer, tu me demandes de préparer 3 mois à l’avance quelque chose, de le bosser, bosser, bosser, l’apprendre par cœur, refaire le PowerPoint, le taffer, le changer, etc., d’arriver près de chez près, je vais monter sur scène, il ne va plus rien rester et je ne me rappellerai plus de quoi on doit parler et ça va être creux.
Et au contraire, je me suis rendu compte que pour être vraiment… ça marche avec moi, je ne dis pas que ça marche avec tout le monde, je ne dis pas que c’est une recette magique, mais il y a des gens qui fonctionnent comme ça et c’est important de s’autoriser à fonctionner comme ça si on sait qu’on fonctionne comme ça.
Et du coup, je me suis rendu compte que j’étais très fort en improvisation et j’étais encore plus fort en improvisation si je connaissais quand même un peu le sujet. C’est-à-dire que je vais être fort si je n’ai jamais entendu parler du sujet pour faire une discussion qui soit bien. Mais si je connais en plus un peu le domaine, là, ça va être bon.
Dans ce cas-là, il s’avère que j’ai beaucoup utilisé le côté improvisation. Et, je pense que cela a un rapport avec ce qu’on se disait juste avant aussi, c’est la différence entre les hard skills et les softs skills. De la même manière que je pense que tu ne peux pas construire quelque chose de gigantesque si tu n’as que les hard skills et que tu es odieux avec tout le monde. Remarque, il y a des gens qui le font. Il y a des gens qui sont très directifs et qui vont être odieux avec tout le monde, mais moi, ma façon de faire, c’est surtout sur les softs kills.
Et le recteur, s’il t’aime bien, en fait c’est simple, si tu es le fils du recteur, il n’y a même pas de question. Si tu es son cousin, il n’y a pas de question non plus. Si tu es le fils de ses potes, il n’y a pas de question. Et à partir de quand il y a une question ? Où se situe la limite ? En fait, cette limite, c’est juste que s’il veut, il le fera, s’il ne veut pas, il ne le fera pas.
Et cela m’est même arrivé encore il y a 2-3 jours. J’avais fait une opération d’influence avec Valence, la ville de Valence, et j’envoie la facture 6 mois après et ils sont extrêmement procéduriers. Ils me disent « Oui, tu n’as pas refait le plein d’essence, donc il y a eu 66 euros de pénalité ». Mon premier truc, cela a été un peu de m’énerver sur le premier mail, sur mon premier brouillon. Je fais alors « Non, il n’y a pas 66 euros de pénalité, il y a 55 euros d’essence et peut-être 10 euros de pénalité ». Ma première réaction, cela a été sur ce truc un peu injuste de me dire « Attends les gars, je suis venu, je vous ai fait des photos, des trucs et vous m’emmerdez pour 10 euros ».
Donc, je me suis un peu énervé comme ça, j’ai tapé la première version et après, je me suis dit « non, mais attends, si mon objectif, c’est de faire en sorte qu’ils ne me fassent pas refaire toutes les factures, retrouver les tickets de caisse et qu’en fait, ils paient le truc… Je me suis dit mon objectif, c’est de faire que ça, ça marche bien, que ce soit le plus rapide possible et qu’il n’y ait pas de blocage. » Donc, j’ai complètement changé mon mail et je suis passé par du « Hey ! Salut les filles. Comment ça va ? Comment se passe l’été chez vous ? Nous, c’est la vague de chaleur en France. En Espagne, ça doit être une dinguerie. ». Et je les ai remerciés. Je fais « Ah oui, merci pour les trois points, vous avez totalement raison. Alors, pour l’essence, oui, j’ai eu un problème ».
Donc, j’ai essayé de jouer plus à l’affect, je leur ai vraiment expliqué ce qui s’est passé, storytelling. Je leur ai dit « Il y a les tests COVID à faire, j’ai galéré. Je suis allé dans 4 centres de COVID, c’est le dernier qui m’a reçu, donc j’ai failli rater l’avion et j’ai préféré droper la voiture. Donc, désolé pour les 10 euros. S’il faut, je vous les paie. » J’ai repris les points comme ça. Et les filles, bien évidemment, elles ont répondu derrière « Bon. Écoute, on s’en charge, c’est hors de la procédure », parce que j’avais paumé tous les tickets resto aussi. Et on m’a dit « Bon. Les tickets resto, on va faire une note globale. Tu nous fais une facture. Et sinon, comment ça va ? »
Et tu bouges sur l’affect en fait. Parce que si tu pars sur le bras de fer technique et rationnel, tout a toujours été prévu. Tout est carré, tout est processisé partout, surtout dans les administrations, dans les entreprises, dans la justice, la police. Toutes les institutions, c’est processisé. Tu es obligé parce qu’il y a des millions de gens qui travaillent dedans et qui sont en contact avec des millions de personnes. Il ne faut pas faire à la tête du client. Donc, c’est processisé. Mais en vrai de vrai, c’est processisé, mais ce sont des humains qui le font. Et chaque humain a une histoire immense et infinie, il a des triggers dans tous les sens et c’est plus fort que tout. Quand il y a quelqu’un de sympa, en général, tu laisses plus faire la personne.
Olivier Roland : C’est sûr.
Steven Herteleer : Tous, même à chaque personne, si tu poses la question, tu dis « est-ce que cela m’est déjà arrivé de faire une exception parce que la personne était différente, sympa, drôle, qu’elle m’a fait me sentir bien, qu’il y a un petit cadeau, un truc ? » On a tous accepté parfois de sortir du cadre et faire des exceptions, et j’essaie d’aller là-dedans.
Alors, on peut tout de suite se dire « Ah ! Mais attends, c’est une façon de tricher ou manipuler et tout ». Moi, ma vision sur cela, c’est de se dire si tu envoies des bonnes énergies en permanence à tout le monde et que tu cherches à provoquer les bonnes choses chez les gens, tu vas l’obtenir. Et à l’échelle d’une vie, tu vas avoir une vie complètement différente. Et en envoyant cette énergie plutôt qu’en engueulant les personnes, tu les nourris aussi, tu leur fais une meilleure journée, elles vont avoir une meilleure journée avec les autres personnes. Et, je suis convaincu qu’il y a un mouvement à créer de gens très bienveillants, très positifs, très sympas, très honnêtes, très généreux. Et toutes ces valeurs-là, si tu le fais avec une vraie authenticité, avec un vrai objectif de développer la personne en face de toi et de lui apporter. En fait, cela ouvre des tonnes de portes.
Et cela m’arrive aujourd’hui d’être surpris encore. J’ai pris l’avion pour aller à Los Angeles il y a quelques mois et j’étais assis à côté d’un réalisateur. Le mec, puissance 10 000 de ce que je viens d’expliquer. Il était sympa avec les hôtesses, il faisait des blagues à tous les gens autour de lui. J’étais là, le mec est un malade. En 5 minutes, il était devenu pote avec Eve et moi. On était là, le mec est trop sympa et le gars a réussi à gérer. On a eu 6 bouteilles de champagne, je ne te raconte pas dans quel état on est arrivé. On a eu 6 bouteilles de champagne pendant le vol.
Et c’était cela, il n’y a eu que des exceptions. On est sorti du cadre. Du moment où il a mis les pieds dans l’avion jusqu’à ce qu’il soit sorti, il n’a jamais été dans le cadre, il a toujours été en dehors. Alors lui, c’était le truc poussé à l’extrême, mais c’était juste une inspiration où cela m’a rappelé cette logique de : le cadre, on y est parce qu’on veut bien y être dedans, parce qu’il nous fait peur, parce qu’on nous a éduqués comme ça à l’école, parce que nos parents nous ont éduqués. Et en fait, on a le droit de remettre en question le cadre. Alors, de le remettre en question intellectuellement et puis si c’est non, c’est non, c’est la loi.
Mais tu as quand même le droit de le questionner. Et tu as le droit quand quelqu’un te dit « Non, on ferme à 18h ». Tu dis « il est 18h02 là », et si tu es sympa, la personne peut dire « Allez, vas-y, passe vite fait ». Alors, tu dis « Mais c’est inadmissible à 2 minutes près, n’importe quoi », cela ne marcherait jamais.
Olivier Roland : Ça ne marche pas.
Steven Herteleer : Il y a zéro, zéro, zéro chance que cela marche, jamais, never. Mais par contre, quand tu es sympa, tu as une chance sur deux que cela marche. Et si tu le fais tout le temps, je pense que tu vis plus vieux parce que tu as moins de stress dans ton corps. Je pense que tu mets une plus belle énergie autour de toi. Je pense que cela te revient aussi dans le futur. Tu fais passer une meilleure journée aux gens et, finalement, tu te facilites ta vie.
Ce n’est pas facile parce que parfois, on est énervé, on a tous des triggers, on a tous des choses où on a envie de tout exploser, genre « moi, on ne me parle pas comme ça, on ne me dit pas ça. Moi, ça, ça ne marche pas avec moi ». Mais dominer sa vie, c’est être capable de comprendre ces triggers dont on est victime nous-mêmes, comment on se sabote nous-mêmes. De les identifier et dire OK. Ça, ça me fait péter un plomb. Si je veux perdre, j’accepte de péter un plomb. Maintenant, si je veux gagner sur moi-même, je domine cela et je continue à envoyer de la bonne énergie. Tout cela pour répondre à ta question.
Olivier Roland : C’est très intéressant. Et toi, tu as fait un jeu à la fois de domination sur toi-même, de ne pas te laisser prendre par tes émotions comme ça, d’être capable de réagir, de choisir ta réaction, mais aussi une manière de communiquer, de se connecter avec les autres et une manière de hacker le système, d’être en dehors de la boîte, comme tu dis.
Steven Herteleer : Exactement. Je pense que tout le monde a un peu… quand tu viens au monde, je pense que c’est un peu naturel de se dire « Attends, mais il y a un truc bizarre qui se passe ». La vie est trop complexe pour être juste ça, qu’est-ce qu’il y a eu avant ? Qu’est-ce qu’il y a après ? Est-ce que moi, je suis quelqu’un de spécial ? Genre Neo dans matrix. Est-ce que je suis l’élu ou pourquoi ? Et où je ressens des énergies. Il y a d’autres personnes qui disent « Mais moi, j’ai une communication avec Dieu » par exemple, d’autres qui disent « Mais moi, je sens quand quelque chose va arriver ou j’avais le feeling », ou genre « je savais avant d’entrer dans cette pièce, qu’il se passerait cela ». Tous ces trucs-là, on les ressent tous un peu.
Et moi, ma vision là-dessus, c’est de se dire « Tu es 100% maitre de 100% de tes décisions et il y a toujours une façon d’arriver au truc que tu veux ». Et moi, j’aime bien y arriver par la façon agréable de la vie plutôt que par la façon force, dark, pression, obligation, attaque. Comme tout le monde, j’ai tout le spectre et cela m’arrive de m’énerver ou d’être fâché ou des trucs… Mais je sais que mes plus gros moments de succès, cela a été des moments de flow, et les moments de flow, ils sont quand tu es en totale détente, en total alignement et où toutes les portes disparaissent.
Olivier Roland : Tu as vu Karaté Kid ?
Steven Herteleer : Non.
Olivier Roland : Celui des années 80 parce que tu as un peu ces deux écoles de karaté où tu as Monsieur Miyagi où tu es un peu le bambou qui plie et tout cela et tu as Cobra Kai où au contraire, c’est très dur, il faut défoncer l’adversaire. Tu as plutôt choisi Monsieur Miyagi. Donc, moins de friction, plus de bien-être, de bonheur. Excellent. Et tu as lu « Comment se faire des amis » ?
Steven Herteleer : Non.
Olivier Roland : Parce qu’il y a beaucoup de points communs avec ta philosophie dans ce livre, avec ce que tu partages.
Steven Herteleer : Qui est d’être généreux.
Olivier Roland : C’est cela, de se connecter sincèrement avec les autres, de sourire, de ne pas faire des débats pour rien et puis essayer de se connecter à… de trouver les choses qui nous rapprochent plutôt que les choses qui nous différencient.
Steven Herteleer : Oui, c’est clair.
Olivier Roland : OK. Tu te retrouves là à faire ces études. Finalement, tu ne savais pas trop ce que tu voulais faire dans ta vie. Comment tu es passé de la vie scolaire à la vie active ?
Steven Herteleer : Je fonctionne beaucoup au feeling, mais ce n’est pas du feeling au hasard. Je pense que j’ai une intuition, je sais à peu près où je vais. Je pense que j’ai une vision vivide lointaine, mais je n’ai pas encore réussi à mettre le doigt dessus, mais j’ai la bonne sensation de ce que cela doit être.
Il y a des choses comme je veux travailler moins. Au fur et à mesure que cela avance, je veux être de plus en plus vers du mindset et de l’intelligence plus que des compétences techniques. Il y a quelque chose aussi de très, très ancré où je veux absolument vivre toutes les vies, donc voyager dans tous les pays, essayer tous les métiers, rencontrer tous les types de personnes. Et je pense que naturellement, quand un choix se présente, je vais aller vers celui qui me rapproche de cela, de découvrir des choses, d’augmenter la valeur du temps. Par exemple, un métier où tu peux voyager beaucoup plus souvent, mais je vais multiplier les expériences.
C’est un peu ce code comme si j’avais un code qui était écrit mais que je n’avais pas encore 100% compris. Mais je pense que c’est sûrement proche de ce que je viens de te dire. Une espèce de mélange de : je veux maximiser le temps, maximiser les expériences. Et alors, si on va carrément sur de la philosophie, probablement, c’est lié à la peur de la mort et l’envie de me dire que quand j’aurais des petits enfants, sans stress, je pourrais me dire « OK. J’ai vécu, c’était un truc de ouf. Ça s’arrête malheureusement, mais aucun regret ». Je pense que c’est cela la philosophie.
Du coup, je ne dirais pas qu’à un moment, j’ai arrêté les études ou arrêter le monde de l’entreprise et glisser dans l’entrepreneuriat, je pense que j’ai toujours eu cela et cela a toujours été imbriqué les uns dans les autres. En fait, en te répondant, je me rends compte qu’il y a quelque chose. Ce n’est pas anodin. En fait, c’est imbriqué les uns dans les autres, c’est-à-dire que je suis devenu photographe en 2010, mais cela fait depuis 2000 que je faisais de la photo et depuis 1990 que je faisais du dessin. Donc, j’ai fait 10 ans de dessins et d’aquarelles, 10 ans de photos, j’ai gagné des concours, j’ai gagné un concours LVMH, ils m’ont envoyé 6 mois en Inde, donc j’ai fait des photos pendant 6 mois.
Olivier Roland : Pour LVMH ?
Steven Herteleer : Oui. Ensuite, avec ces photos-là, j’ai présenté le concours Paris Match du photoreportage étudiant, je suis arrivé finaliste.
Olivier Roland : C’était en 2010.
Steven Herteleer : Alors, 2006 pour LVMH, 2007 pour le concours Paris Match. Ensuite, je suis rentré chez L’Oréal pour faire du marketing. Fin d’études, j’avais fait un stage chez L’Oréal qui s’était très, très bien passé. J’avais créé un produit qui est devenu un best-seller, qui a fait des dizaines de millions d’euros chez L’Oréal parce que c’était un truc qui sortait complètement du cadre. Comme les trucs que je fais aujourd’hui, c’était un produit qui cassait complètement les codes de ce qu’ils faisaient là-bas. Donc, ils m’ont rappelé à la fin de mes études au moment où j’étais en train de réfléchir à un tour du monde.
Il y a eu quand même un moment en 2008 où, en tête, je voulais faire un tour du monde. Je kiffais la photo, mais il n’y avait ni Internet, ni les réseaux sociaux. Pour devenir photographe, il fallait éventuellement être assistant d’un grand photographe et peut-être que 20 ans plus tard, tu devenais photographe. Donc, ce n’était pas encore un métier tendance comme aujourd’hui cela peut être une énorme évidence de métier de rêve. À l’époque, ce n’était pas trop cela, mais cela me faisait rêver. C’était la continuation du dessin pour moi, c’était une manière d’économiser du temps puisque le dessin, c’est 4 heures, la photo, c’est une seconde.
On en était là. Et, L’Oréal me rappelle en disant « Écoute, ton produit est un best-seller, on veut t’embaucher. » Je vais chez L’Oréal pour une création de marque, donc le métier de rêve où en gros, ils me disent « Ton métier va être d’inventer des produits visage, il faut en inventer 20, il faut faire les pubs ».
Olivier Roland : Attends, mais quand tu dis « inventer », ce n’est pas toi qui crées le produit. Toi, tu vas créer la pub et peut-être le marketing qui va autour. Qu’est-ce qu’ils veulent dire par créer le produit ?
Steven Herteleer : Alors là, c’est une parenthèse dans la question. Je vais essayer de ne pas oublier la première pour qu’on puisse retomber dessus tout à l’heure, mais c’est ultra intéressant cette façon de bosser parce que cela m’a apporté beaucoup. L’Oréal m’a complètement orienté ma façon de travailler puisqu’aujourd’hui, je fais photo, marketing, conseil et plein de choses comme ça, et L’Oréal, c’est une des boîtes les plus performantes au monde sur cela quand même. C’est un des leaders mondiaux de la beauté, ils ont une trentaine de marques. Ils sont très, très forts. Et la logique de L’Oréal là-dessus, c’est qu’ils ont deux manières de créer des produits. Pour caricaturer, soit la recherche avancée trouve une technologie. Par exemple, on a une mousse et elle prend 10 fois de sa taille.
Olivier Roland : Alors là, on peut voir que tu fais très bien le bruit de la mousse. On reviendra un peu après sur cette compétence que tu as d’imiter les sons.
Steven Herteleer : Donc la mousse, tu la mets, elle prend 10 fois sa taille. Les labos disent « Les gars, James bond ». On a un truc, tu mets sur le cuir chevelu, tu perds 10 degrés. On a une techno plus évidente, ça ralentit la chute de cheveux. Au marketing, tu dis « Trop bien, on va en faire un produit antichute ». Mais le truc qui refroidit, on va en faire quoi ? Peut-être que c’est un produit homme après le sport. Et le truc qui prend 10 fois de sa taille, qu’est-ce que cela pourrait être ? Donc ça, c’est une approche, les labos ont une techno.
Olivier Roland : C’est ce que tu as fait. Tu as trouvé une techno et tu as trouvé la manière de l’appliquer et de la mettre en vente sur le marché. C’est ça qu’ils veulent dire par créer un produit.
Steven Herteleer : Oui. Mais il y a deux approches. Ça, c’en est une première, c’est le labo qui vient avec une techno. Et la deuxième approche, c’est le marketing qui observe le marché et il dit dans 3 ans, les mecs se maquillent, parce que Johnny Depp a gagné son procès, qu’il est en train de revenir en force. Il va re-tourner un nouveau Pirates des Caraïbes. Cela va faire un mouvement contre #MeToo. Non, non, tu vois ce genre de truc ? Tu dis « ça ne va pas par-là », ou genre il y a des influenceurs qui commencent à faire ceci, cela et tout. Et du coup, en marketing, ton métier, c’est de dire « Dans 2-3 ans, il y a cette tendance qui va arriver. Les prix vont se casser la gueule. Les exports vont moins marcher. L’import a fait exploser les prix, du coup, on va avoir besoin de produire localement. »
Par exemple, si je te le fais en direct, je pense que si j’étais chez L’Oréal aujourd’hui, je proposerais de faire des produits made in France parce que potentiellement, ils vont devenir moins chers que made in China et qu’il y a une histoire à raconter aussi de tous les gens qui ont été confinés et qui se disent « J’en ai marre de cramer du gasoil pour traverser la planète entière et tout, je veux du plus local. Tout le monde est au chômage, donc peut-être qu’il faut payer localement les gens ». Il y a une grosse tendance qui est en train d’arriver sur ça et donc il y aurait une histoire à écrire autour de ça. Et ça, c’était plus mon métier : Identifier vers quoi allait le marché et écrire une histoire, et deviner quelle est l’histoire qui allait exploser dans quelques années.
La particularité de L’Oréal, c’est que L’Oréal ne copie personne parce que L’Oréal est copiée par tout le monde. Ce sont les premiers à lancer à chaque fois les trucs. Ils prennent des gens qui sont très business et très créatifs en même temps. Moi, j’avais gagné le concours LVMH en photo, ils se sont dit « OK. Le mec a fait école de commerce, gros concours photo. Boum ! C’est le gars qu’il nous faut pour créer 20 produits ».
Et donc, les produits, il y en a certains où on écrivait au labo, on leur a dit « On voudrait un scrub », ce sont les trucs où tu passes comme ça et ça gratte pour nettoyer ta peau, c’est un scrub. On disait « on voudrait un scrub uniquement naturel, avec des ingrédients naturels, qui soit à la fois abrasif mais qui en même temps va nourrir la peau ». Ensuite, tu discutes avec le labo, il te parle des technos qu’ils ont. Tu dis « Non, ça, ça ne marchera pas. Celui-là, il peut être pas mal ». Parfois, ils disent « Nous, on a un truc qui crépite, on ne sait pas quoi en faire ». « Attends, ton truc qui crépite, on peut le mettre dans le scrub. Comme ça, il y aura une sensation de fraîcheur ». Etc.
J’ai dû faire une vingtaine de produits. Alors, quand je dis « je », dans une boîte, tu n’es jamais seul, tu es toujours 20, mais tu as ton influence sur chacun des projets. Donc, j’étais sur une vingtaine de produits, les pubs de chacun de ces produits, les photos de chacun de ces produits, les vidéos de chacun de ces produits, le site Internet pour tout ça, et c’est là où j’avais vraiment appris la photo au niveau professionnel. Puisqu’en fait, j’ai embauché des réals au début et embauché des photographes et puis, au bout de 4-5, tu commences à comprendre un peu. Ensuite, j’ai pris des réals un peu moins bons et des techniciens un peu plus fort jusqu’à la fin de mon job, de ce job où je ne prenais plus de réal et c’est moi qui faisais la réal et j’avais des caméramans. Et j’écrivais.
Alors, ce n’est pas du tout ce qui est prévu chez L’Oréal, tu n’es pas censé faire cela, mais on est humain. Et en fait, à un moment, je m’éclatais là-dedans et je me suis dit « On va faire une petite entorse. Je vais piloter au max le projet moi-même parce que ça me faisait kiffer, parce que ça me faisait rêver ». Donc, c’est comme cela que j’ai bien appris le truc.
Olivier Roland : Donc, tu étais un entrepreneur chez L’Oréal ?
Steven Herteleer : Oui. Complètement.
Olivier Roland : C’était comme si tu avais ta boîte dans L’Oréal. OK. Intéressant.
Steven Herteleer : Oui. Absolument.
Olivier Roland : N’oublie pas la question initiale.
Steven Herteleer : Oui. J’y viens.
Après, ils m’ont changé 2-3 fois de métiers qui m’ont beaucoup moins plu. Cela a joué sur ma motivation. Ils m’ont donné un métier où il fallait faire de la vente, ça m’a moins plu et ensuite, ils m’ont mis sur le marketing juste France d’un seul produit. Tu passes de créer 20 produits et toutes les pubs à gérer deux gammes de produits. Donc, c’était beaucoup plus petit et je m’ennuyais. Et c’est le moment où j’ai commencé à me dire « OK. Là quand même, j’ai gagné le concours LVMH, j’ai été finaliste du concours Paris Match, j’ai piloté pas mal des shoots chez L’Oréal. » Je commençais à shooter mes propres gammes et à glisser des photos dans des argumentaires de ventes, personne ne me disait rien. Hop ! Ça ne se voyait pas et on me disait « Ouais, trop cool ta photo ». Moi, dans ma tête, je dis genre « c’est ma photo ». Je n’ai pas pris un photographe.
Donc là, j’avais pas mal d’indices que cela pouvait marcher. Instagram n’existait toujours pas 2009-2010.
Olivier Roland : Et d’ailleurs, juste parenthèse encore, mais tu dis que tu as plusieurs produits qui ont cartonné chez L’Oréal. Toi, tu n’avais pas de commissions sur les ventes ?
Steven Herteleer : Non.
Olivier Roland : Cela ne te démotivait pas aussi un peu ça ?
Steven Herteleer : Non.
Olivier Roland : Tu ne peux pas dire, tu ne disais pas « Moi, je pourrais faire pareil. Avoir ma propre boîte et vendre des trucs ». Peut-être pas des cosmétiques mais…
Steven Herteleer : Non. Je ne pouvais pas parce qu’il y a des millions d’euros derrière. Il y a des laboratoires de recherches avancées. Mais par contre, j’avais identifié deux de mes points forts que j’utilise le plus aujourd’hui et que j’ai distillés dans tout ce que je fais, c’est le storytelling, l’art de raconter des histoires et l’émotion que je vais accrocher à ce storytelling.
D’ailleurs, c’est lié à ce qu’on disait un peu avant quand je t’ai dit avec le recteur et comment il a fait une exception avec du storytelling, puisque je lui ai raconté une histoire, et avec de l’émotion en connectant naturellement avec lui.
Pareil pour l’exemple de Valencia où il a fallu négocier le devis, storytelling, je leur ai raconté un peu ce qui se passe et de l’émotion pour le côté humain. Et cette logique aussi des hards skills versus softs skills. Pour moi, c’est vraiment la clé, cette logique d’embarquer les gens dans une histoire avec une émotion et de ramener de la vie. C’est ça pour moi une des essences de la vie.
Donc, on arrive à ce moment où j’étais très démotivé parce que le job était beaucoup moins ambitieux. Et si, si, bien sûr, il s’est passé quelque chose, il y a ma mère qui a attrapé un cancer. J’en ai un peu fait le déni aussi, c’est pour cela que spontanément, je ne te l’avais pas dit. Déjà, je n’en parle pas très souvent, mais c’est aussi que dans ma tête, je l’ai un peu effacé pendant une partie de ma vie parce que ce n’est pas simple, tu as 25 ans et ta mère chope un cancer. Et en fait aussi dans ma famille, on est assez secret, on ne va pas raconter en long, en large ce qui se passe.
Déjà, elle a mis un an à nous le dire. Ensuite, le moment où elle a commencé à faire des traitements un peu plus sévères, c’est le moment où L’Oréal m’a envoyé faire de la vente dans le sud de la France, dans le Gers. En 2009, début du téléphone portable, premier iPhone, dans le Gers, ça ne capte clairement pas. Toujours pas de Visio, ça n’existait pas. Pas d’Instagram, donc il y avait Facebook. C’était un peu le Facebook ou email.
Tu as ta mère qui a un cancer, qui est en chimio. Tu es envoyé pendant 8 mois dans le sud de la France. Et la politique de l’entreprise : tu as le droit de rentrer une semaine sur deux. Toi, tu dis « mais les gars, j’ai ma mère qui est malade ». « Oui, mais tout le monde a ses problèmes ».
Ça a été très compliqué. On s’est beaucoup engueulé avec mes boss à ce moment-là, même j’ai carrément été rebelle, c’est-à-dire que je me barrais avant. Comme je faisais de la vente, j’arrivais à faire des ventes par téléphone pour gagner du temps et pour rentrer plus vite sur Paris. Donc, j’ai carrément commencé à gruger, si tu veux. Et puis en mode genre syndrome de l’injustice au maximum, genre c’est mort en fait, il n’y a aucun monde où tu m’empêches d’aller tous les week-ends sur Paris. Cela a commencé à se tendre à ce niveau-là, un peu avec les RH et surtout dans ma tête, où je me dis « c’est mort, ce n’est pas cette vie-là que je veux ».
Et c’est vrai que cela a cristallisé un truc. D’un côté, je me suis dit « OK. J’ai compris le chemin jusqu’au bout. Si je continue à être un bon élève, je vois le chemin où je suis directeur de marque et où je gagne 10 000 euros par mois, où j’ai une voiture de ouf. » OK. C’est bon, j’ai compris la fin de l’histoire. Il va falloir beaucoup bosser, il va falloir faire plein de concessions. Donc moins voir ma mère, à un moment où j’aurais voulu. Mais peut-être que dans 10 ans, ce sera déménager alors que ma femme, elle n’est pas d’accord et puis peut-être déscolariser mes enfants parce qu’on change de pays. Je n’en sais rien, mais c’est vraiment ce genre « OK, je vais être dépendant de choix fait par d’autres pour le bien de l’entreprise », ce qui n’est pas problématique, il y a des gens qui sont OK avec cela. Mais moi, j’étais là genre OK , là il y a un problème. Et bien sûr, tout ce truc avec ma mère au premier degré et tout ce truc de motivation.
Tout ça se cristallise à peu près au même moment. À un moment, j’en ai trop marre, donc je postule chez Dior et je vais chez les RH, et je leur dis « Dior m’embauche, je suis de retour sur Paris dans une semaine, donc je me casse ». Ils me font rentrer dans la semaine sur Paris.
Olivier Roland : Intéressant, mais là, on voit aussi que, pour le coup, tu n’as pas été dans le cadre. Tu n’es pas dans le truc agréable. Parfois, il faut aussi savoir s’imposer un peu. Et l’une des meilleures manières de le faire, c’est de mettre les gens en concurrence.
Steven Herteleer : Oui. On est d’accord. Alors, pour nuancer ce que j’ai dit tout à l’heure, c’est vrai que je vais avoir tendance à utiliser les softs skills, la sympathie, dans toutes les interactions sans suite dans ma vie, ou les petites négociations, les petits trucs, genre à la caisse, il y a un problème, un policier, un mec dans la rue qui klaxonne un truc. Au maximum, je vais essayer d’utiliser ça. Mais par contre, à l’inverse, il faut être capable de passer en force ou même en obligation. Et là, c’était clairement ça. Il faut aussi connaître sa valeur, ses droits. Et en vrai, c’était absolument hors de question que ça dure plus longtemps. Par contre, il y a des manières de le faire. C’est-à-dire que j’aurais pu aller gueuler et là, je serais passé pour un taré ou alors poser une offre d’emploi sur la table et dire « les gars… ».
En fait, j’ai préparé mes munitions, c’est-à-dire que je ne voulais pas non plus me retrouver au chômage. Donc, je me suis dit quelle est la stratégie pour les obliger, mais qui soit une stratégie par le haut en fait et une offre d’emploi chez un concurrent, les mecs te reprennent sur Paris.
Donc, ce n’était pas impulsif, mais c’était à l’autorité clairement.
Olivier Roland : Puis, on valorise toujours plus ce qu’on va perdre alors qu’on tient pour acquis ce qu’on a. Et quand on voit qu’on va le perdre, c’est là où…
Steven Herteleer : Qu’on va le perdre et surtout quand eux se disent « Attends, mais le gars se barre chez un concurrent, c’est-à-dire qu’il a de la valeur. » Parce qu’on va le perdre parce qu’il part en voyage, c’est une chose, mais on va le perdre parce qu’il part chez Dior, ouh la, attends, on a peut-être oublié un truc. Donc, ils me font rentrer sur Paris, mais ça ne se passe pas bien.
Donc, j’ai passé un an chez Kérastase qui est une des marques du groupe, on m’a donné deux gammes de produits, mais clairement, il y avait eu une tension. Je suis rentré sur une tension, ils m’ont mis sur un job. Moi, je n’étais plus dedans. Ma mère, elle a fait encore un an très malade, donc j’étais de moins en moins dedans.
Et en fait, jusqu’à un jour, une semaine de dingo, Juillet 2009 ou 10, je ne sais plus, la même semaine, je suis témoin du mariage de mon meilleur pote. Je lance un des plus gros lancements de Kérastase qu’il n’y a jamais eu, c’était moi qui le faisais, et 4 trucs. Ma mère ultra malade qui m’annonce « Steven, il y a un problème, les traitements ne marchent pas, donc on va arrêter les traitements ». Là, il te faut 2-3 secondes pour dire « arrêter les traitements, OK » et là, tu captes. Et là, le monde s’écroule, genre « attends, mais arrêter les traitements, cela veut dire abandonner et cela veut dire 2-3 mois, qu’est-ce qui se passe ? »
Là, je me rappelle, j’étais sur un quai de métro parce que j’étais par ailleurs en train de préparer le quatrième truc de la même semaine. J’étais en train d’aller à l’ambassade du Mali parce que je partais en voyage au Mali, un mois, pour faire des photos. J’étais ambassadeur Canon à l’époque, pas ambassadeur comme ça peut être aujourd’hui, mais ils me prêtaient du matos et je testais des trucs.
La même semaine, les quatre projets en même temps et là, ça te fait réaliser des trucs. Alors, hasard, alignement des planètes, je n’en sais rien, mais beaucoup de verticalité sur cette semaine. C’est une des grosses semaines de ma vie quand même. Et là, c’était un lundi, c’est fou, je me rappelle même l’heure, c’est lundi 11h30 du matin 2009. Je ne sais plus l’année par contre, mais je sais l’heure et le jour.
Lundi 9h du matin et ma mère m’annonce cela par téléphone. Je t’ai dit, dans la famille, on n’est pas trop… voilà. « Écoute Steven, les traitements ne marchent pas, on va arrêter. Est-ce que tu peux venir à l’hôpital aujourd’hui ? » Je fais OK. On raccroche. Je me rappelle d’un trou noir sur le métro genre plusieurs minutes pour récupérer. J’appelle mon frère, j’ai dit « Maman t’a appelé ? » Il me dit « oui ». « Bon, t’y seras ? » « Oui » « OK ». Pas plus compliqué comme conversation. On y va. Et avec mon frère et mon père, on arrive, on se voit les uns après les autres : elle avec moi, elle avec mon frère, elle avec mon père et tout. On ne parle pas trop. Et je me rappelle de ce que ma mère me dit, elle me dit deux choses. Elle me dit une première chose « j’ai raté ma vie ».
Olivier Roland : Waouh. Elle te dit ça ?
Steven Herteleer : Elle me dit « je n’ai rien fait de ma vie ».
Olivier Roland : C’est dingue.
Steven Herteleer : Elle était femme au foyer. C’est un peu à l’ancienne, mon père qui avait un job de ouf, elle qui était femme au foyer, et elle dit oui « J’ai raté ma vie. Je n’ai rien fait de ma vie. » Donc, cela te fout un premier coup. Mais tout de suite, j’ai répondu, j’ai dit « Écoute, je n’en suis pas sûr parce que tu nous as fait, James et moi, mon frère et moi. Et moi, je pense que le but de la vie, c’est aussi la transmettre et tu as fait deux mecs super heureux, super structurés. Je me sens bien dans ma peau, je suis heureux, je sais où va la suite. Donc, non, tu n’as clairement pas raté ta vie. Tu as fait le plus beau truc que tu puisses faire, de passer le flambeau. »
Non, elle me dit trois trucs. Elle me dit un deuxième truc, elle me dit « tu es beau », tu sais, comme toutes les mamans disent à leur fils. C’est le truc qu’elle me disait à chacun de mes anniversaires « Regardez comme il est beau. C’était le plus beau de la maternité », un truc comme ça. Elle me dit « tu es beau » mais elle me le dit… alors, je ne sais pas si elle l’a fait exprès, s’il y avait une intention, mais elle me dit « tu es beau » que je comprends comme : je t’ai fabriqué parfait, maintenant, c’est ta responsabilité de faire de cette perfection un truc de ouf.
Je l’ai vraiment senti comme ça, genre « Tu es beau, tu es une merveille, tu es un être vivant, je t’ai conçu avec tout ce que je pouvais. Maintenant, c’est ton taf, fais ce qu’il faut, mais tu es beau. »
Olivier Roland : Mais aussi, ne rate pas ta vie.
Steven Herteleer : C’est ça. En gros, c’est : je t’ai fait parfait, qu’est-ce que tu vas en faire ? Alors, ce n’est pas que moi, je suis parfait, toutes les mamans pensent cela de leurs enfants. Mais c’est cette logique de tu as tout ce qu’il faut, tout ce que tu veux pour changer le monde, c’est en toi. Chaque personne peut transformer la planète. Tu l’as, tu as tout cela en toi, tu es beau.
Et elle me dit un troisième truc, elle me dit « je t’aime » et on ne se l’était jamais dit et ce n’était pas le bon timing. Elle me l’a dit. Mais tu sais, c’était un peu fin de crise d’adolescence, truc et tout, elle me dit « je t’aime ». Et, je me rappelle avoir été gêné, genre « OK. Oui, moi aussi », mais l’exprimer, mauvais timing.
Et je repars avec ça. On va au resto avec mon frère et mon père pour débriefer, on passe une heure et demie, c’est la seule fois de notre vie où ça se fait comme ça, on n’a pas échangé un seul mot. Entre très gêné et très introspectif, on va au resto comme ça, genre pfff.
Olivier Roland : Waouh, une heure et demie, oui.
Steven Herteleer : Oui. À bouffer. Tac. Mon père me redépose chez L’Oréal. Là, j’arrive chez L’Oréal. Donc, j’avais disparu une grosse partie de la journée, je n’avais prévenu personne. Je m’étais absenté un peu plus tôt pour aller à l’ambassade du Mali, donc j’étais parti à 11h du taf et là, je reviens à 15h. Grosse semaine de lancement, le plus gros lancement de l’année.
Le lancement était jeudi, on était lundi. Et là, j’arrive au taf et il y a ma stagiaire qui arrive en panique. Elle dit « Putain ! Steven. Steven, on a un problème, c’est que les leaflets qu’on a imprimés là, les trucs qu’on a imprimés, tu voulais de l’argenté, sauf qu’en fait, ce ne sera pas de la texture argentée et brillante, c’est de couleur argentée, c’est de l’encre. Et ce qui se passe, c’est quand on met aux reflets, là, c’est juste gris, mais ça ne brille pas. Il y a 10 centimes de plus par impression, il y en a 5000. Ça va nous coûter, je ne sais plus, 750 euros ». Et là, dans ma tête, cela fait genre : je n’en ai rien à foutre, mais rien à foutre.
Tu imagines le gap entre la veille « Putain, il faut que tous nos leaflets soient prêts. Tac ! Ça va là, ça parle. Les primes pour les vendeurs, c’est ça, le truc, c’est ça ». Et là, tu as le gap entre les deux et tu dis « en fait, il y a juste ma mère qui vient de m’annoncer qu’on débranchait tout. »
Olivier Roland : Surtout, 750 balles pour L’Oréal.
Steven Herteleer : Non, mais je ne sais même plus, si ça se trouve, c’était 10 000 euros. Mais peu importe, elle m’aurait dit « c’est 2 000 000 d’euros », je m’en fous.
Et là, je me rappelle, je dis « écoute Audrey, tu es prête ? ». C’était ma stagiaire. Je dis « Tu es prête ? C’est toi qui va faire le lancement. Le lancement est dans 4 jours, tu vas préparer tout. Tu vas juste me montrer avant les validations, donc tu choisis. En ton âme et conscience, tu choisis quelle est la bonne décision. Tu fais les calculs, tu choisis le truc, tu choisis la couleur, tu prends la meilleure décision. Tu es prête ? Je ne prendrais pas forcément une meilleure décision que toi et fais-moi juste valider quand même. Avant de payer, tu me fais valider, que je te dise OK, mais tu prends toutes les décisions jusqu’à jeudi. C’est toi qui fais tout », pour me décharger, bien sûr.
Et elle était prête aussi. La petite histoire fait qu’aujourd’hui, elle a lancé sa marque de cosmétiques et c’est une grosse marque de cosmétiques aujourd’hui. Audrey, bim, comme ça.
Mon frère qui m’appelle et qui me dit « Steven… ». Il me dit juste « je fais quoi ? » Il me dit « Steven, je ne peux pas travailler, je fais quoi ? » Et là, je dis « Écoute, tu as deux choix. Choix numéro un, tu dis tout à tes collègues et tu as le droit de faire ce que tu veux. Tu leur expliques ce qui se passe et tu peux te barrer sans prévenir. Ou tu ne leur dis pas, mais il faut que tu sois exemplaire au travail. Tu fais le choix entre les deux. »
Et je crois qu’il a choisi de ne pas le dire et de taffer. Mais je lui dis « Si tu ne dis pas, les gens ne vont pas comprendre pourquoi tu n’es pas bon, donc il faut juste que tu tranches. Soit tu mets tous tes problèmes dans une boîte, on se voit ce soir au resto, on en parle, soit tu décides que cela devienne officiel et dans ce cas-là, on ne t’en voudra pas. », lundi.
Mardi, mon père qui m’envoie un SMS, qui me dit « Oui Steven, bon, ta mère dort profondément, c’est compliqué là », puisque ma mère m’avait dit « il y en a pour 3 mois ». Donc, elle m’a dit « Pars au Mali, on se voit après. » Mon père me dit « Commence à envisager de décaler le Mali, ta mère dort bien là », genre cela fait 24 heures qu’elle n’a pas mangé, elle dort.
On fait le lancement le mercredi. Jeudi, je vais au mariage. Donc, le lancement était le mercredi. Jeudi, je vais au mariage de mon pote, je ne sais plus les jours. Bref, le lendemain, je vais au mariage de mon pote. On prépare le truc la veille. J’arrive. Comme quand tu es témoin de mariage, tu arrives la veille, donc on prépare tout le truc et tout.
Olivier Roland : C’est un samedi normalement le mariage.
Steven Herteleer : Oui, je ne sais plus trop. Mais sur le calendrier, j’arrive. Ma mère était dans le coma à ce moment-là. Non. Elle était en… je ne sais plus comment cela s’appelle, dans les soins palliatifs. Elle était en soins palliatifs. C’est quand tu as un cancer et qu’il ne reste plus rien, on te fait des pommades, de la musique qui te plaît, tes dernières volontés. On te fait kiffer pour que tu kiffes une dernière fois, on te met un peu de morphine et tout. Enfin, c’est pour avoir une belle fin si c’est possible quand tu as un cancer généralisé.
Donc, on fait la soirée avec mon pote, énorme caisse. Là, j’arrive un peu à oublier toute la pression du truc. Énorme caisse. C’était à Bordeaux en plus, une caisse aux grands vins. En plus, il avait eu un problème. Donc, le mec pour se faire excuser avait vraiment mis un grand cru. Super soirée, on s’amuse trop. Je fais un discours, et pas facile de faire un discours qui fait rire toute une salle parce que quand tu es le témoin du mec, tu essaies de faire marrer tout le monde.
Olivier Roland : Tu m’étonnes. Tu n’es pas dans le mood là.
Steven Herteleer : Oui. Tu n’es pas dans le mood. Donc, il a fallu quand même faire un truc où tu fais marrer tout le monde et le discours était très poignant, il me l’a demandé, il l’a encore mon pote. Il m’a dit « Putain ! Ton discours, waouh, truc de ouf. » Voilà, ce discours-là. Et le lendemain matin, je me réveille encore bourré, un gros mal de crâne à 9h du mat. Je vois un SMS, je vois un message de mon père, je clique le SMS et c’était une photo de ma mère de dos, en rond dos, avec marqué « maman est partie ». Et là, je décuve instantanément. Je ne savais même pas que c’était possible, je décuve.
Et là, il y a un truc qui s’est cassé. Un truc qui s’est cassé ou un truc qui s’est libéré. Mais à ce moment-là, il y a eu un avant et un après, genre « OK, ça devient réel » Alors, déjà, quand elle me l’avait dit que j’étais dans le métro, ça devient un peu réel, mais là, ça devient très réel. Là, ça devient : je n’ai plus de mère. Qu’est-ce qui va se passer ? Donc, mon taf, ça ne le fait pas, je n’ai plus de mère, je veux voyager, j’ai un feeling sur la photo, j’en suis là.
Là, je décale le Mali puisque je devais partir le mercredi suivant au Mali, 4 jours plus tard, mais c’était un peu chaud parce qu’il y avait l’enterrement le mercredi, donc on décale. Je fais aussi un discours pour le décès de ma mère, discours que j’ai encore aujourd’hui et qui était précurseur. C’était une des premières fois où j’ai exprimé ma vision puisque dans ce discours, j’ai expliqué ce qui allait se passer. Je vais devenir photographe, je parcourrai le monde entier, je vais monter ma boîte. James, il ne finira pas sous les ponts puisque c’était un peu la blague, c’est mon petit frère. James, il va déchirer aussi, ça va être un truc de ouf. Mon père va faire le tour du monde en moto, il est en train de passer son permis et tout. Tous les trucs se sont réalisés, et ça, ça a été le mercredi.
Olivier Roland : James, il n’a pas dormi sous les ponts.
Steven Herteleer : Non. Il n’a pas dormi sous les ponts. Il travaille aujourd’hui avec moi ici et on bosse super bien ensemble, on est meilleur pote.
Et du coup, je pars au Mali le lendemain de l’enterrement, le lendemain matin, et j’arrive au Mali long vol, tac, tu arrives, tu prends un bus, un truc… Et je me retrouve dans le Pays Dogon 24 heures plus tard. Littéralement, 24h après l’enterrement, je suis dans le Pays Dogon sur une bicyclette avec un mec qui a 13 ou 14 ans, qui est mon guide. Il dit « Viens, je te montre le Pays Dogon », « Allez, vas-y, c’est bon. On y va ensemble ». Tac, on part dans le truc pourri. Il faisait 40 degrés, on cramait, tout orange, des femmes qui portent les trucs sur leur tête. Une autre planète, le Mali profond.
Olivier Roland : Un changement de dimension là. Donc, ça t’a aidé à faire le deuil, à passer…
Steven Herteleer : En fait, ce mec-là a une phrase. Il m’a dit « Comment ça va ? » « Écoute, ça va ». « Ta mère, elle va comment ? ». « Ma mère ? Elle est décédée il y a quelques jours ». « OK. Ton père ? ». « Tu n’en as rien à foutre de ce que je viens de te dire. Mon père, ça va, il est triste du coup. » « OK, OK, ta grand-mère ? ». « Ma grand-mère, il m’en reste une mais elle va bien. C’est un peu dur pour elle, elle a perdu sa fille, mais voilà ». « Tu as des frères et sœurs ? ». « Oui, un frère ». « Et alors, ton frère, il va comment ? ». « Il va bien ». « OK, OK ». Et c’est tout, il ne me demande que ça. Mais ça m’a changé complètement d’angle.
Je me suis dit « mais pourquoi il me demande ça ? » Sûrement, un peu de la conversation, il ne savait pas trop quoi dire, mais aussi une philosophie de toute l’Afrique. Lui, il ne me demande pas « c’est quoi ton métier ? », il ne me demande pas « combien tu gagnes ? ». Il me demande « comment vont ton père, ta mère ? » « Ta mère est morte, OK. » Oui, ta mère est morte, mais c’est quotidien. En tout cas, chez nous, c’est vraiment omniprésent.
Et je l’ai bien compris pendant le voyage, c’était la première fois que je venais en Afrique, et je me suis rendu compte que perdre ton petit frère d’une diarrhée, c’est classique. Perdre ta mère à 40 ans, c’est classique aussi. Et là, je me suis rendu compte de la chance que j’avais eue d’avoir pu connaître mes deux parents, d’avoir eu une super éducation, des parents qui m’aiment. Dans ce malheur, j’ai quand même pu dire au revoir à ma mère même si cela a été très dur pour elle. Il y a quand même des aspects positifs, il y a de la chance dans tout ça.
Et ça, ça a été une semaine de dingo parce que je suis passé du gros syndrome d’injustice, je n’ai pas le droit de voir ma mère, elle est malade, je n’aime pas mon métier, truc de victime un peu (pas forcément victime, en tout cas, je subissais) à OK, j’ai perdu ma mère. Lui, il dit que c’est normal. Je suis en Afrique, je reconnecte. Et aussi, je l’ai compris des années plus tard, le fait que je perde ma mère a rompu une énorme partie qui est un câble maternel qui te retient à une partie de la vie. Et je pense que ta mère te retient à quelque chose, ton père te retient à quelque chose, ton éducation, ton pays, tu as plein de câbles comme ça qui te retiennent à plein de choses. Et je sais que ma mère, c’était le symbole de « Attention, c’est dangereux, tu vas te planter. »
Quand je suis parti en Inde pendant 6 mois, elle a été terrifiée de cela, il fallait que je lui envoie un message tous les 2-3 jours. Je voyais que mon père, il s’en foutait un peu plus, en mode genre « Mais ne t’inquiète, ça va le faire Steven, il n’y aura pas de problème ». Donc, cela a rompu ce câble. Je ne l’ai pas compris tout de suite, mais je sais que ça a libéré toute la partie de danger, contrôler parce que je suis… enfin quoique. Mais ça a libéré toute une partie de risque, aventure, danger, sauter la tête la première et on va voir ce qui se passe, et on défonse toutes les portes et je ne suis plus obligé de rien. Et donc, je suis rentré.
Olivier Roland : Et puis là, le Mali, c’était vraiment une transition qui t’a accompagné vers ça. Là, c’est un excellent exemple de ce que nous amène le fait de voyager.
Steven Herteleer : Ah oui. C’est clair.
Olivier Roland : En termes d’ouverture d’esprit, de points de comparaison différents que cela te donne.
Steven Herteleer : Clairement. Moi, c’est une de mes passions dans le voyage. J’adore les paysages et tout en tant que photographe, mais la vraie raison pour laquelle je voyage, on s’en était parlé une fois aussi, c’est que tous les mots les plus simples ont une totale définition, une vision totalement différente dans d’autres pays.
La famille, en France, cela veut dire quelque chose. Une famille en France, c’est un papa, une maman. C’est en train de changer. Mais c’est un papa, une maman, 2-3 enfants. C’est en train de changer, c’est-à-dire que là, maintenant, on est en train de changer. Ça peut être 2 mamans, ça peut être 2 papas, ça peut être une famille monoparentale. Mais ça, ça a 10 ans, ou 10-15 ans. Mais moi, à l’époque, c’était un papa, une maman et quelques enfants parfois.
Alors, dans les années 2000, on a amené le divorce dans la notion de famille. Aujourd’hui, on amène le LGBT+, LGBTQI+, je ne sais jamais, mais on amène de la diversité, on amène les familles monoparentales. Mais à l’époque, famille, c’est différent.
En Afrique, famille, c’est plein de gens. C’est peut-être 4 mamans parce qu’elles s’aident les unes les autres, parce que tu passes les bébés et tout. Et c’est pareil sur tous les mots. La famille, la justice, le bonheur, être riche, être grand, l’amitié, le divertissement. Il n’y a pas un mot qui est pareil quand tu changes de continent, même les mots les plus simples et fondamentaux.
Et du coup, oui, énorme claque de la vie. Déjà, quand le gamin me demande « Comment va ta mère ? », c’est une porte d’entrée différente pour connaître les gens. Moi, je trouve que…
Olivier Roland : C’est vrai qu’on ne poserait pas la question en France.
Steven Herteleer : Non. La question numéro 1 en France, c’est quel est ton métier ? Je trouve.
Olivier Roland : Qu’est-ce que tu fais ?
Steven Herteleer : Oui. Qu’est-ce que tu fais ? C’est vraiment sur ça qu’on va déterminer est-ce que la personne m’intéresse et qu’on va calibrer la personne. On la calibre par rapport à son métier. Tu vas aux US, on va très rapidement te demander combien tu gagnes. Cela peut être choquant d’ailleurs. Les mecs, ils te disent « Ah oui. Tu es photographe ? Tu fais combien ? » Je veux bien te répondre, mais c’est OK, je vais te répondre. Ça, c’est aux US. Et en Afrique, on ne m’a jamais demandé ce que je faisais, jamais du tout. Enfin, peut-être 2-3 fois, mais ce genre c’est « Comment va la famille ? Comment vont tes parents ? » C’est vraiment sur la famille, c’est ça le point d’entrée. Et ça donne une vision complètement différente de la vie.
Et puis, pareil, sur qu’est-ce qui est grave ou qu’est-ce qui n’est pas grave ? En France, pour moi, c’était très grave ce qui venait de m’arriver. Pour eux aussi, bien sûr, mais c’est que la mort fait peut-être plus partie de la vie. Nous, on a réussi avec la médecine en anticipant, à bloquer un maximum de risques. Donc, pour nous, c’est plus rare. C’est plus grave peut-être, je n’en sais rien. Mais oui, c’est sûr que le voyage apporte ça.
Olivier Roland : Tout ça, ça t’a fait le déclic finalement et c’est là que tu t’es dit « j’arrête L’Oréal et je me lance dans l’entrepreneuriat ».
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : OK.
Steven Herteleer : Je dirais que c’est ce cocktail-là, parce que je suis rentré du Mali et j’ai déposé ma démission directement. Je suis parti le jour même. Et c’est un mélange de la fraîcheur que m’avait apporté le Mali de me dire « Attends, tu rentres en France, grosse dissonance. Tu reviens à la réalité, mais en fait, ce n’est pas la réalité, énorme dissonance. » Je me dis « Waouh, non, je ne le sens pas du tout, je ne peux pas retourner bosser dans un job tous les jours à faire un truc où je choisis la couleur d’une teinte. » Et pas de jugement de valeur, c’est-à-dire que c’est totalement OK, tu peux kiffer. D’ailleurs, je l’ai kiffé moi-même le premier pendant des années chez L’Oréal, mais là, ce n’était plus mon histoire. Là, j’avais trop débloqué le truc.
Olivier Roland : Et tu avais besoin de quelque chose qui te donnait du sens finalement.
Steven Herteleer : Oui. Je pense que le sens, je l’avais, mais je pense que ma mère ne m’autorisait pas. Et je pense que plus personne ne m’interdisait.
Olivier Roland : C’est intéressant ça. Et tu penses que t’aurais pu t’émanciper de ça sans que ta mère disparaisse ?
Steven Herteleer : Je pense qu’il aurait fallu que j’apporte plus de preuves.
Olivier Roland : Plus de preuves ?
Steven Herteleer : Oui. C’est-à-dire que là, j’ai pu me jeter dans le vide et, en plein vol, découvrir si je pouvais voler. Alors que si ma mère avait été là, je pense qu’il aurait fallu que je lance mon side business et puis que je fasse du chiffre d’affaires et que je la rassure sur ça rationnellement, genre « Regarde, je fais tant. Je le sens bien ». « Ah, mais ton job chez L’Oréal, c’est un truc de fou ». « Mais regarde, là, je fais ça ».
Et donc, cela n’aurait peut-être pas pris parce que je pense que pour que la photo prenne, il a fallu que je parte en mode commando. J’ai démissionné et je me suis retrouvé en coloc dans une maison à payer 400 euros, à trouver une espèce de trucs avec des artistes. Je décrochais le téléphone pour trouver des jobs, j’ai été très créatif pour trouver les premiers jobs. J’ai rappelé tout mon carnet d’adresse, je les ai fait rêver, storytelling à fond et tout, et je prenais tous les jobs. Il a quand même fallu aller chercher le premier cash.
Oui, cela faisait longtemps que je n’avais pas eu cette image. À l’époque, j’avais l’image de « OK. Là, je touche vraiment le fond là » bien fort. Je n’étais pas abattu, j’ai toujours été optimiste et j’ai toujours gardé de la motivation, mais je me suis dit « Waouh, ça va être chaud d’aller plus bas là quand même, je n’ai plus le job. »
Je me suis lancé en photographe. Donc, j’avais gagné quelques concours, mais je n’avais pas de matos, pas de réseau, pas d’étude là-dedans, pas d’expérience. J’avais juste fait quelques concours, mais ce n’est pas ça qui fait un métier. En tout cas, j’étais vraiment là, pas de trésorerie, aucune trésorerie.
Olivier Roland : Mais ce rêve quoi, finalement.
Steven Herteleer : J’avais le rêve et l’absolue détermination de réaliser ce rêve, et comme l’absolue certitude que ça allait le faire. J’ai été déterminé et je voyais le chemin et je me disais « Attends, mais j’ai tellement de motivations et le truc est là, je vais tout défoncer, je vais y arriver ».
Olivier Roland : Tu as eu des moments d’hésitation quand même ou de doute, ou pas du tout ?
Steven Herteleer : Plus là, plus à ce moment-là. J’ai eu des moments de doute pendant des années, ce qui fait que je n’ai jamais démissionné de chez L’Oréal, et j’ai eu cette espèce de mélange de révolte, injustice, signe de l’univers, rupture, grosse rupture, gros choc émotionnel, et en fait finalement, genre d’une certaine manière, je m’en fous. De donner des cours de français au bord d’une plage à Jericoacoara, ça me va très bien. Je m’en fous d’être patron chez L’Oréal.
En fait, c’est qu’en termes de négo, j’étais en mode life style numéro 1, carrière loin derrière et la tune, mais loin derrière. Sauf que paradoxalement, c’est ça un des secrets de réussite, je pense. C’est d’être capable de tout perdre. C’est là où tu es le plus fort en négo et c’est là où tu es inarrêtable, quand tu dis « je suis prêt à tout perdre ». Je n’ai vraiment plus rien à perdre. Et donc, j’étais vraiment tout au fond, je vivais pour 400 euros par mois et je me suis dit « de toute façon, il faut que ça marche en photo » Sauf qu’un job en photo, c’est entre 500 euros et 1 000 euros le job. Donc, avec 2-3 jobs, tu fais ton mois de salaire. Et en fait, j’ai envoyé tellement de rêves et tellement d’énergies positives dans tous les sens que tous mes potes de l’époque étaient en mode « waouh, le gars se lance ». Et il y a un peu un truc qui fait rêver, quand ton pote monte sa boîte, tu as quand même envie de filer un petit coup de main.
Olivier Roland : C’est sûr.
Steven Herteleer : Quand même, sortie d’école de commerce, j’avais un petit réseau. Chez L’Oréal, j’avais plein de potes de chez L’Oréal. Les stagiaires, je m’étais toujours très bien entendu avec tous les stagiaires, c’est-à-dire que je n’ai jamais pris de haut des stagiaires, je leur ai toujours parlé normalement comme à tout le monde. Et du coup, il y a plein de stagiaires qui avaient un très bon souvenir de moi dans plein de boîtes : Danone, Nestlé et tout. Et en fait, très vite, j’ai eu des jobs, mais genre 2-3 jobs par semaine.
Olivier Roland : Et c’était quoi comme type de jobs ?
Steven Herteleer : Alors, ça a commencé par du très pourri. Je me rappelle notamment de un, c’était pour Nestlé. C’étaient les hasards de la vie, les poches d’hôpitaux pour les gens malades. Donc, il y a des espèces de bouillie dans des poches, c’est très dur à prendre en photo parce que c’est honnêtement moche.
Olivier Roland : Ce n’est pas beau.
Steven Herteleer : C’est comme des gouttes à gouttes.
Olivier Roland : Toi, ton job, c’est de les mettre en valeur ?
Steven Herteleer : Voilà.
Olivier Roland : Il y a un setup qui fait que ça donne envie.
Steven Herteleer : Non. C’était même pire. C’était le fond blanc. C’était juste, il faut que ça fasse catalogue. Et les mecs me disent « On a 100 euros de budget par photo ». Sauf qu’eux, ils m’en donnent 100-200. Et là, je me fais 10 000-20 000 euros qui est déterminant quand tu te lances en photo parce que la photo, ça coûte très cher si tu veux t’acheter du matos, des trucs comme ça.
Mais très rapidement, j’arrive à me mettre un peu de sous sur un compte. C’était la première fois de ma vie où j’étais en positif parce que…
Olivier Roland : Mais c’est dingue, tu gagnais bien ta vie à L’Oréal quand même ?
Steven Herteleer : Oui. 3 000 euros, je pense par mois.
Olivier Roland : OK.
Steven Herteleer : En sortie d’école, c’est super bien payé. Mais quand tu bosses chez L’Oréal, tu te prends un appart qui te vaut 1 000 euros. Tu as quand même de l’impôt sur le revenu, je ne sais plus combien c’était, mais peut-être 500 euros par mois, donc tu as déjà la moitié qui part en appart et ça. Et puis, tu as tous les afterworks.
Olivier Roland : Comme ça part vite.
Steven Herteleer : Oui. Et puis, moi, je voyageais beaucoup, genre je mettais tous les sous qui me restaient. Je ne dépensais rien, juste afterworks un peu avec les potes, l’appart. Et ensuite, je mettais 500 euros-600 euros de côté par mois pour voyager. Je faisais un gros voyage, je partais un mois complet en Amérique Latine ou au Mali typiquement. Mali, tu en as pour 1 000 euros d’avion et puis, tu en as pour 1 000 euros pendant un mois sur place, le temps de prendre des transports et tout. Tes 2 000 euros, c’est ce que tu as pu économiser pendant 6 mois. Donc en fait, tu tournes en circuit fermé, tu tournes à vide. Tu tournes en fond de réservoir quand tu es en CDI. En tout cas, quand tu commences ta carrière.
Et je pense qu’après, alors, je n’ai pas fait de carrière en entreprise, je t’en parle sans l’avoir fait, mais mon feeling, c’est que du coup, tu gagnes en salaire mais tu perds en liberté parce que tu as de plus en plus de responsabilités, tu as des équipes, tu ne peux pas vraiment couper ton téléphone pendant un mois quand tu es numéro 2 ou 3 d’une marque. Je pense que jamais, tu atteins ce moment d’harmonie totale où tu as les finances, le temps et la liberté, tu ne l’as pas en entreprise.
Olivier Roland : Le moment parfait n’arrive jamais.
Steven Herteleer : Le moment n’arrive jamais. Sauf si tu es le numéro 1 de ta boîte et que tu n’es pas non plus contraint par des actionnaires puisque la suite de l’histoire, c’est que même quand tu es CEO de ta boîte, tu dois aux actionnaires. Il n’y a que les actionnaires finalement qui peuvent jouir de cela. Mais les actionnaires, ils ne sont pas dans une boîte. Donc, le chemin n’existait pas.
Et là, pour la première fois, j’avais beaucoup plus d’argent que je n’avais besoin. Je n’étais pas riche mais quand même. En fait, quand tu as 10 000 euros sur un compte et que tu n’as jamais eu ça, tu es un peu riche d’une certaine manière.
Donc, j’avais 10 000 balles, 10-15 000 balles, je ne sais plus, et là, je me dis « OK, j’ai un rêve quand même, c’est de faire le tour du monde ». Mon rêve numéro 1, c’était de devenir photographe, mais mon rêve de photographe, c’est pour pouvoir permettre d’être en tour du monde. Mon vrai rêve, c’est ça. C’est d’être en contact avec toutes les cultures.
Et au bout de 6 mois, j’ai planifié le truc, je me suis dit OK. J’en ai parlé avec mon coloc et je lui ai dit « Écoute, moi, je veux partir en tour du monde ». Et lui, il me dit « Non. Mais c’est moi qui veux partir en tour du monde, c’est mon rêve. » Et en fait, c’est trop drôle parce que ça a été mon meilleur pote pendant des années, on s’est un tout petit peu perdu de vue aujourd’hui, mais ça reste une des personnes les plus importantes de ma vie. Mais jamais on s’est dit « Viens, on part ensemble en tour du monde ». On ne se l’est jamais dit et c’était une évidence qu’on ne partirait pas ensemble parce qu’on avait tellement la même philosophie de vie. C’était un de mes colocs. Dans la maison, nous, on était plusieurs d’artistes. Mais c’était en mode « Attends, mais moi aussi, j’ai envie de partir. C’est moi qui veux partir. Viens on part ensemble en même temps et comme ça, on se challenge mutuellement. » Et très vite…
Olivier Roland : Mais en même temps, mais pas ensemble.
Steven Herteleer : Voilà. On part le même jour, mais chacun, on fait notre délire.
Olivier Roland : D’accord.
Steven Herteleer : Après, on l’a théorisé à mort parce qu’on adorait philosopher, donc on a rajouté plein d’histoires, de trucs dessus et on s’est dit « vas-y, on va partir dans un sens opposé ». Moi, je partais vers l’Ouest. Lui, vers l’Est.
Olivier Roland : D’accord. Et quelle était la durée ?
Steven Herteleer : Alors, 8 mois.
Olivier Roland : 8 mois.
Steven Herteleer : Initialement. On s’est dit très vite.
Olivier Roland : Et pendant 8 mois, tu ne travaillais pas.
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : C’est vraiment avec les 10 000 euros, je vis avec 10 000 euros pendant 8 mois, OK, tu te débrouillais avec ça.
Steven Herteleer : C’est exactement ça.
Olivier Roland : Sympa.
Steven Herteleer : Je me suis dit, je pars avec 10 000 euros vers l’Ouest, lui, vers l’Est. Et on a rajouté des règles du jeu. On a rajouté notamment trois règles du jeu. Il y en avait dix au total, mais il y en a trois vraiment qui sortaient du lot. C’était qu’on voyageait avec zéro avion, ce qui fait que lui, il est parti du Sud de la France en solex. Il a trouvé un solex à la foire du solex juste à côté du village où on habitait, puisqu’on s’était délocalisé dans un petit village pour ralentir. Il est parti en solex jusqu’en Turquie, et moi, je voulais partir en bateau à voile pour traverser l’Atlantique. Première étape. J’avais fini par trouver un bateau à voile. Donc, zéro avion.
Olivier Roland : Waouh, génial. Ça, c’est de l’aventure.
Steven Herteleer : Truc de malade. Franchement, voyager uniquement avec les gens que tu arrives à rencontrer, connecter au sol et faire un tour du monde collé au sol, c’est, tu fais le tour du monde.
Olivier Roland : Super intéressant.
Steven Herteleer : Alors qu’avec des avions comme ça, tu fais des sauts, mais tu ne le vis pas. De fait, tu es en tour du monde et tu auras fait… ton esprit, ton corps aura fait un tour autour de la planète, d’accord, mais tu n’auras pas vécu et épongé un tour autour de la planète. Tu n’auras pas vu sa taille si tu prends l’avion. Alors que quand tu le fais avec des pieds ou avec un bateau, kilomètre par kilomètre, ou une voiture, ou un bus, tu le vois. Tu vois défiler tout le paysage. Tu vois ce que c’est que de faire tout le tour et c’est très long. C’est très long.
Olivier Roland : J’imagine. Moi, j’adore voyager seul, mais là, c’est carrément un autre niveau. Tu es comme Antoine de Maximy en fait. Tu dois te faire des copains au fur et à mesure. Et c’est même vital parce que tu en as besoin pour te déplacer, tu n’as pas de bateau. Comment tu as fait pour te retrouver sur ce navire ? Parce que ça met au moins 2 semaines pour traverser l’Atlantique Nord. Du coup, il faut quand même des gens qui soient prêts à t’accepter pendant ce temps-là dans un espace assez confiné.
Steven Herteleer : Oui. Plusieurs choses. Nous, on n’a pas mis 2 semaines, on en a mis six. On a fait une petite escale au Cap Vert, donc c’est 6 semaines. Je pense que si tu le fais en direct, tu peux probablement le faire en un mois, mais nous, on a mis 6 semaines. Puis, ça dépend de ton trajet. Nous, on allait jusqu’à Rio qui est très au Sud, mais bon. Nous, 6 semaines.
En effet, c’est très dur à trouver. Il m’a fallu 3 mois pour le trouver. Et c’est une de ces fois où les étoiles sont alignées. J’avais envoyé des mails, il ne se passait rien et tout. Sur la mini histoire, il y a un pote qui me dit « Attends, mais appelle mon frère, il connaît plein de gens dans la voile ». Moi, je me dis « Flemme, oui, tout le monde connaît plein de gens. Vas-y, allez, je l’appelle ». Le mec me donne des conseils pas mal. Il me dit « Oui, tu vois la date, les alizés, tac, il faut que tu vises ça. Le port, ce serait plutôt La Rochelle. Ta deadline, c’est le 15 juin parce qu’après, les vents deviennent contraires et tout. » Je me dis « Pas mal quand même, le mec touche un peu. »
Et le gars me file un contact. J’appelle ce gars. Il ne se passe rien. Et en fait, à un moment, on était à un barbecue avec mon pote, on était le 14 juin, la veille de la deadline que je m’étais fixé. Non, la deadline que je m’étais fixée, c’était le 22 juin à l’anniversaire de ma mère. Donc, on était le 21 juin, un jour de l’été, ou 18, dans ces eaux-là, et on fait un barbecue. Et là, je dis à mon pote « Il faut que j’appelle maintenant le gars. Il faut que je l’appelle maintenant. Il y a un gars-là, on m’a donné son contact, je lui ai écrit il y a 3 semaines, il faut que je l’appelle. »
J’appelle le gars et je dis « Oui. Salut, c’est Steven. Je t’ai envoyé un message il y a 3 semaines pour partir à la voile avec toi, tu ne m’as pas répondu. ». Je veux dire que j’étais super chaud. Et le mec, il dit « C’est trop drôle que tu m’appelles parce que là, j’ai la liste des personnes qui m’ont écrit sous les yeux, j’étais en train de choisir. Alors, j’allais commencer à appeler les gens. Toi, tu étais plutôt vers la fin de la liste, mais écoute, vu que je t’ai au téléphone, discutons. ».
Olivier Roland : C’est marrant ça.
Steven Herteleer : Un truc de malade. Dans ma tête, je me dis « waouh, OK. ». « Alors, c’est quoi ton expérience à la voile ? ». Pff, oui, c’est ça. Franchement, je pense que je fais genre « alors… », j’ai dû faire ça.
Olivier Roland : Ça commence bien.
Steven Herteleer : Oui. J’ai fait ça probablement une réponse du genre. « Alors, le truc, c’est que… ». Tu sais, quand tu commences une phrase comme ça, c’est que cela ne prend pas.
Olivier Roland : Oui. Ça ne commence pas bien, oui.
Steven Herteleer « Le truc, comment te dire ? ». Là, il me fait directement « Non, mais attends, si tu n’as pas d’expérience, c’est mort parce qu’on va être trois sur un voilier et c’est 8 heures chacun », puisqu’un voilier, c’est 24h/24. Donc, il dit « Moi, je fais 8 heures, l’autre fait 8 heures, tu fais 8 heures. Donc si tu n’as jamais fait, c’est mort. » Et je lui dis « Écoute, OK. Bon » Et là, dans ta tête, ça s’organise très vite parce que tu te dis « j’ai tellement galéré à trouver un mec, c’est maintenant ou jamais ».
Je fais : OK, je n’ai jamais fait de voile. Enfin, j’ai fait un peu planche à voile quand j’étais petit avec ma grand-mère, donc je vois le vent, le truc et tout. Mais par contre, ce que je peux te garantir, c’est qu’entre le mec qui a fait les Glénans, la meilleure école de voile, qui va te casser les couilles sur chacun des trucs « Mais toi, tu mets la voile comme ça, mais toi, tu ferais ça, mais moi, j’aurai plutôt fait ça », et qui va remettre en question tout ce que tu lui dis, ou moi qui suis absolument déterminé à traverser l’océan, je vais te suivre à la lettre, si tu me donnes des bonnes instructions, je te fais ce que tu veux, exactement comme tu veux. Si tu me dis « pendant 8 heures, tu regardes tout droit », pendant 8 heures, je regarde tout droit. Si tu me dis « je suis fatigué, tu conduis 20 heures », je conduis 20 heures, il n’y a pas de problème. Le mec, il me dit « OK », puis rien. Je fais « Allo. » « OK, OK. Oui ». « Je ne comprends pas ». « Mais je viens te dire OK, c’est bon, tu pars »
Olivier Roland : Ah oui. C’est dingue ça quand même. Tu as trouvé l’homme exact qu’il voulait.
Steven Herteleer : Et le mec m’a dit juste « OK, OK ». Alors, pour lui, cela veut dire « OK, tu viens sur le bateau ». Pour moi, OK, cela veut dire tu changes de vie, tu pars en tour du monde, ta vie ne sera plus jamais la même. C’est un des points de bascule de ma vie en fait, sur un OK. Là, je raccroche. Je vais voir mon pote.
Olivier Roland : Waouh, et tu partais quelques jours après ?
Steven Herteleer : Oui, deux jours après. Il me dit « On part dans deux jours. »
Olivier Roland : No pression
Steven Herteleer : Ah oui. Là, je vais voir mon pote, il me dit « alors ? »
Non. En fait, ce n’est même pas ça, c’est que je lui dis « Il faut que j’appelle le gars », dans sa tête, je galérais depuis 3 mois et il s’est dit, en fait, il s’en foutait je pense mon pote, genre « oui, c’est bien ton call et tout ? » J’ai dit « Greg, on part en tour du monde ». Il me dit « quoi ? ». « On part en tour du monde ». « Comment ça ? Qu’est-ce qui se passe ? ». « J’ai trouvé un bateau ». « Putain, on part quand ? ». « Dans deux jours ». « Arrête tes conneries ».
Olivier Roland : Donc lui, du coup, c’était sa date au moment où tu partais pour partir de l’autre côté. OK.
Steven Herteleer : On voulait partir le même jour.
Olivier Roland : Excellent.
Steven Herteleer : « Mais non, truc de ouf ». Donc là, le barbecue, truc et tout, trop bien. Et direct, je fais ma valise, je repars sur Paris, je laisse mes affaires.
Olivier Roland : Ce qui est dingue, c’est que le mec te connaissait à une idée finalement. C’est incroyable quand même. Et il accepte d’avoir un gars qu’il ne connaît pas, qui n’a aucune expérience en voile sur un bateau pendant 6 semaines.
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Cela fait partie peut-être de leur style de vie aussi.
Steven Herteleer : Oui. C’est énorme quand tu viens de CDI, là, je montais ma boîte en photo et tout, donc c’est énorme comme gap, mais c’était juste le premier pas de toute une succession d’expériences comme ça pendant tout le tour du monde. Chaque expérience s’est passée comme ça.
Olivier Roland : C’est intéressant parce que je me suis retrouvé dans un Airbnb à Gran Canaria en 2012, c’est une île des Canaries, et ce Airbnb, c’était un bateau dans le port. J’adore prendre des trucs un peu originaux comme ça. Et ce qui était génial, c’est que tu rencontrais plein de gens qui s’arrêtent à Gran Canaria avant de faire la traversée de l’Atlantique. Et tu as tous les profils en termes de, il y en a qui ont vendu leur maison, c’est le projet de leur vie et il y avait des gens qui faisaient du bateau-stop, et qui étaient là pour chercher un bateau et qui disaient « je peux travailler, je peux faire ça ». Ça ouvre un peu le chagrin sur ce genre de truc, un monde que beaucoup de gens ne connaissent pas finalement. Et là, on a un autre aperçu très intéressant.
Steven Herteleer : Oui. Et je le recommande vraiment de faire du bateau-stop. Les deux grosses astuces, c’est plus simple quand tu es une fille si tu mets des affiches un peu partout, genre je cherche, voilà.
Olivier Roland : Et une fille n’aura pas peur, tu crois, de se retrouver avec des matelots 6 semaines dans un bateau confiné ?
Steven Herteleer : Je pense que tu peux tout justifier par la peur dans ta vie et que ça peut tout le temps t’autoriser à ne pas faire les choses. Mais je pense qu’à l’inverse, il y a de tous les types de profils qui ont tout fait. Donc, il y a toujours une voie qui est une autre que celle de la peur.
J’ai une amie par exemple que je cite parfois qui était chez Dior, blonde, super jolie et tout et qui a fait un tour du monde toute seule, inspirée par ce que je lui ai raconté. Et notamment, je lui ai dit « Mais meuf, oui, c’est sûr, tu es une jolie fille, il y a des trucs auxquels il faut faire attention », mais en France aussi d’ailleurs, « et puis moi, je suis un mec, mec qui visiblement vient d’Europe, donc forcément qui a du budget si on me kidnappe. » Donc oui, il y a des règles pour tout le monde. Tu ne vas pas te balader dans une favela au Brésil. Une fille, tu ne vas pas rentrer seule le soir, à 3h du matin bourrée toute seule. Oui. C’est sûr, il y a des règles. Par contre, il y a des filles qui marchent seules dans toutes les villes du monde. Il y a des règles.
Olivier Roland : Sur cette chaîne, j’ai déjà interviewé Caroline qui a voyagé pendant 7 ans non-stop autour du monde et qui a notamment fait l’Inde alors qu’elle est blonde. Tu es déjà allé avec une blonde en Inde ?
Steven Herteleer : Ma pote, je l’ai rencontré en Inde justement. Margot.
Olivier Roland : OK. Parce qu’une blonde ou un blond d’ailleurs, mais une blonde surtout, c’est une attraction touristique partout où elle est. C’est impressionnant. C’est clairement le genre de pays où tu peux vraiment, tu es mal à l’aise assez vite parce que tout le monde te regarde partout où tu vas.
Steven Herteleer : Oui. Puis, il y a des pays où la blonde, c’est un peu le fantasme. Le côté MTV, tu as vu la fille dans des films. Quand tu n’as jamais vu une fille blonde, c’est…
Olivier Roland : Oui. En Inde, tout le monde est brun en français.
Steven Herteleer : C’est ça. Donc, waouh, incroyable, la fille est lumineuse et tout, c’est clair qu’il se passe un truc. Mais oui, il faut jouer avec ces codes. Et sur un bateau, c’est un état d’esprit. Les marins quand même, ce sont des gens qui adorent la nature et qui sont très humains. Tu as forcément des psychopathes chez les marins, mais il y a quand même une espèce de vibe de gens qui ont décidé de vivre simplement, aimer les gens ou au contraire, être en introspection. Je n’ai pas trop rencontré de profils dangereux comme tu peux en croiser dans des bars par exemple si tu vas prendre un verre dans un bar. C’est potentiellement plus dangereux quand tu es une fille de rentrer avec un mec de soirée que tu ne connais pas que d’aller traverser l’Atlantique avec un marin.
Olivier Roland : Oui. Il y a des milieux qui filtrent un peu.
Steven Herteleer : Oui. Je dirais que le mec a acheté son bateau, il est dédié. Et c’est un petit monde et tout. Mais oui, le mec, ça s’est passé comme ça. On ne se connaissait pas. Et tu as cité Antoine de Maximy.
Olivier Roland : Maximy, oui. J’irai dormir chez vous.
Steven Herteleer : Oui. Et alors, c’était la deuxième règle que je m’étais fixée. J’ai pendant 2 ans…
Olivier Roland : Du coup, c’était 2 ans.
Steven Herteleer : Le tour du monde a duré 2 ans. Bien sûr, tu pars 8 mois, ce n’est pas du tout suffisant. Donc en cours de route, très vite avec mon pote, on s’est dit « il faut qu’on prolonge ». « Un an ? ». « Non, deux » « Oui, deux. Vas-y, go », tac. Ça s’est fait comme ça. Et donc, on est parti 2 ans.
Olivier Roland : Et la règle, c’était dormir chez l’habitant ?
Steven Herteleer : Voilà, c’était la deuxième règle du jeu.
Olivier Roland : Ah oui. Toujours ? Aucune exception ?
Steven Herteleer : Oui. Aucune exception. Aucun euro dépensé pour dormir. En 2 ans, on a dormi chez 700 familles différentes.
Olivier Roland : Vous avez utilisé le couchsurfing beaucoup ou c’était vraiment la tchatche ?
Steven Herteleer : Je n’ai pas eu besoin au début parce qu’Amérique Latine… cette règle du jeu, le fait de voyager sans avion fait que tu rencontres plein de monde puisque tu es tout le temps dans des bus ou des trucs comme ça, et donc que tu peux engager des conversations qui facilitent le fait de dormir chez des gens. Je pense que si tu ne faisais qu’avion, taxi, tu ne rencontres pas trop de gens et c’est plus dur de dormir chez des gens, mais le mix des deux fait que ça fonctionnait bien ensemble, et de voyager en solo, puisque j’étais en solitaire. Donc, tu es tout seul dans un bus et tu dors chez les gens, ça se fait bien.
Amérique Latine, ça s’est très bien passé et je n’ai pas eu besoin de couchsurfing.
Olivier Roland : Et tu es arrivé au Brésil, c’est ça ? À Rio ?
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Et après, à partir de là, tu as fait un peu un…
Steven Herteleer : Au début, je n’y arrivais pas parce que je ne parlais pas brésilien. Au début, je suis arrivé, j’ai un peu galéré…
Olivier Roland : Et parce qu’ils ne parlent pas beaucoup anglais là-bas.
Steven Herteleer : Oui, c’est ça. Et puis, en fait, tu connectes mieux avec les gens quand tu parles leur langue, même si tu parles 4 mots. Si tu parles 4 mots, tudo bom et tout, là, ça commence à rigoler et tu peux te faire inviter. C’est vrai que les deux premières semaines, j’ai un pote qui était en Guyane française.
Olivier Roland : Mais ton espagnol t’a aidé, non ?
Steven Herteleer : Je n’avais pas d’espagnol.
Olivier Roland : Ah, d’accord.
Steven Herteleer : Allemand, oui.
Olivier Roland : Oui. Ça n’aide pas trop au Brésil, c’est clair.
Steven Herteleer : Complicado. Muy complicado. Non, mais du coup, oui, Allemand LV1, anglais LV2. Donc, Brésil. Mais après, tu entends les mots et tout de suite, tu les captes.
Olivier Roland : Le Portugais est très proche.
Steven Herteleer : Oui. Et les mecs font « maravilloso ». Tu fais OK. Maravilloso, merveilleux. Tudo bom, maravilloso, buena onda. Tu mélanges un peu tous les trucs et ça passe. Mais les deux premières semaines, je n’arrivais pas.
Donc, je faisais bus de nuit. À 23h, je prenais un bus. J’arrivais à 4-5 heures dans la ville suivante. Et à 5h du mat, j’étais dans la ville, j’explorais et re-bus de nuit.
Olivier Roland : Ah, tu dormais dans le bus ?
Steven Herteleer : Oui. Je faisais le bus de nuit.
Olivier Roland : Tu avais un pote en Guyane. Et la Guyane, c’est collé au Brésil. D’ailleurs, peu de gens le savent, mais c’est la frontière terrestre la plus longue avec la France, c’est le Brésil, ce n’est pas l’Allemagne.
Steven Herteleer : Ah oui. Tiens, c’est bon ça.
Olivier Roland : Oui. Ça, tu peux demander en soirée, il y a quelques-uns pour cent des gens qui le savent.
Steven Herteleer : Oui, pas mal. OK.
Olivier Roland : C’est un bon exemple d’ailleurs de penser en dehors de la boîte parce que quand tu te demandes ça aux gens, tu leur dis « pensez en dehors de la boîte » et ils vont commencer à penser à… j’ai dit que c’est la plus longue frontière terrestre, ils pensent à l’Europe alors que le seul DOM-TOM qui n’est pas une île, c’est la Guyane.
Steven Herteleer : Ah oui, énorme. Et du coup, oui. Mon pote me dit « Je bosse à… ». Enfin, il voit sur Facebook que j’arrive au Brésil et que je suis en tour du monde. Il me dit « ah, tu es au Brésil, truc de fou », un pote de lycée que je n’avais pas vu depuis 5 ans, un truc comme ça, même 6 ans. « Waouh, c’est un truc de ouf, tu es au Brésil. Écoute, si tu passes en Guyane, dis-le moi parce que maintenant, je bosse chez Ariane et on lance des fusées et je t’emmène dans la salle des tirs ».
Olivier Roland : C’est génial. À Kourou ? Excellent. Ça ne se refuse pas comme invitation.
Steven Herteleer : Oui. En fait, c’est même…
Olivier Roland : Puis, tu peux aussi clairement prendre le bus et puis aller là-bas.
Steven Herteleer : Oui. Et du coup, j’ai dit genre « mais mec, j’arrive » ! Le pote qu’il ne faut pas inviter. « Eh, mais passe, au pire, tu resteras. Je viens, écoute, je suis là. »
Olivier Roland : Tu as profité quand même du voyage entre deux ?
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Tu es passé par Jeri parce que c’est sur la route.
Steven Herteleer : Oui, exactement. J’y suis passé.
Olivier Roland : Jericoacoara, c’est vraiment un de mes endroits préférés au Brésil et puis c’est un des meilleurs spots de kitesurf du monde.
Steven Herteleer : Oui. J’ai fait du kitesurf là-bas, de la planche à voile. Je suis allé un peu au Nord aussi, dans le Lençois Maranhenses, c’est comme des dunes du Sahara, mais avec des lacs entre chacune, et encore plus dans le Nord, dans un tout petit village qui s’appelle Atins, qui est genre un village construit sur le sable. Tu as des maisons, du sable et tout, une espèce de parc national, l’endroit où tu te dis « oui, je pourrais me poser là ». C’est une autre planète. Donc, tous ces trucs-là, j’ai tout exploré. Ça a été long. J’ai mis peut-être pas loin probablement d’un mois pour rejoindre la Guyane. Bus de nuit, un bateau pour traverser l’Amazone. L’embouchure de l’Amazone est tellement large qu’il faut trois jours de traversée.
Olivier Roland : 3 jours ?
Steven Herteleer : Oui. Parce qu’en fait, c’est comme un archipel morcelé de millions de petites îles, et tu passes dans tous les sens, dans de la jungle, tu ne comprends rien à ce qui se passe. Tu es à Belém, tu traverses et tu arrives de l’autre côté dans une autre ville, je ne sais plus, Macapá ? Non, Macapá, c’était un peu au Nord. Bref, dans une autre ville comme ça. Et là, hop, ça repart et j’ai dû traverser plusieurs pays, Suriname. Non, Guyane française était le premier, je crois que c’est Guyane française, Suriname.
Olivier Roland : Oui, Guyane. Et après, tu as la Guyane normale qui est anglophone et c’est le seul pays anglophone d’Amérique du Sud d’ailleurs et la Suriname qui est de langue néerlandaise.
Steven Herteleer : Oui. Non, c’est le Belize et pas anglophone.
Olivier Roland : Non, mais c’est en Amérique centrale, ce n’est pas en Amérique du Sud.
Steven Herteleer : Oui. Et du coup, je me retrouve en Guyane.
Olivier Roland : Guyane française, du coup.
Steven Herteleer : Guyane française. Et là, d’ailleurs, il y a un autre truc que j’ai appris qui est intéressant en Guyane française, c’est qu’en plein péripéties, le vol est décalé… J’envoie des emails parce que je m’ennuyais un peu, donc j’envoie des emails depuis chez lui, un email qui sera important. J’envoie plein d’emails, dont un qui a changé beaucoup de choses. Et voilà. On voit le décollage, et là, je fais des photos.
Olivier Roland : Ça doit être génial.
Steven Herteleer : Le décollage ?
Olivier Roland : Oui.
Steven Herteleer : C’est un pétage de plombs. Franchement, c’est impératif, il faut absolument le voir.
Olivier Roland : Ça fait partie de ma to do list.
Steven Herteleer : Ah oui. Ça se fait bien. Il faut rentrer en contact avec les gens d’Ariane et ils ont le droit d’inviter une ou deux personnes par an. Tu as un ticket et donc il va donner son ticket annuel.
Et donc, on est allé très, très proche. Tu as plusieurs centres. Tu as un centre, je ne sais plus, genre à mettons 2 kilomètres ou je ne sais plus quoi, 6-12-25, tu as des trucs. On a pu aller dans la salle la plus proche, exceptés les techniciens qui sont juste à côté. Et en fait, tu arrives de nuit. Là, je me dis « Ah oui, dommage, on ne va pas trop voir grand-chose ». Tu es de nuit, c’est l’équateur, le soleil se couche à 18h et le décollage est à 19h, tu dis « bon, OK ». Et là, tu es dans la salle, c’est un truc de malade, c’est comme dans les films. Tu as tous les mecs avec un casque comme ça, tu as les télés. C’est vraiment la caricature d’Armageddon, c’est vraiment comme ça. Tu as tous les mecs « OK. Five, four, three »
Olivier Roland : Ils comptent en anglais ?
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : OK.
Steven Herteleer : Et là, ils ouvrent les portes. Et là, dans le décompte, tu as pile le temps d’aller sur le toit. On ne prévient pas, mais tu vois tout le monde se lever et aller sur le toit, tu dis « je vais aller sur le toit ». Moi, je pensais qu’on allait voir depuis la salle. Donc, tout le monde va sur le toit comme ça. Et là, end fire. Et là, tu fais « c’est nul ».
Olivier Roland : C’est nul ?
Steven Herteleer : Tu ne vois rien. Et là, d’un coup, du genre prrrrrr. Là, tu fais « Ah ! ». Et là, tu vois un truc. Il fait une nuit noire, ça fait brrrrrr. Tu vois un truc accélérer, accélérer, accélérer, il accélère de plus en plus vite, ça ne s’arrête jamais d’accélérer, et là, ça fait une boule de feu, tu as le soleil qui se lève à nouveau, tu vois comme en plein jour. Et là, tu vois un truc qui a une vitesse genre un missile. Tu vois le truc extrêmement rapide partir, mais méga vite, une traînée magnifique. Et en fait, là, j’étais en train de prendre des photos. Et là, je fais genre « non, je vais le vivre pour moi ». Et c’est la première fois que j’ai fait ça de ma vie. Je fais, genre, le moment est unique mais il sera pour moi.
Donc, j’ai fait ça. J’ai baissé l’appareil photo et j’ai regardé comme ça avec de la salive. J’ai regardé comme ça. J’ai quand même fait 2-3 photos comme ça, mais j’ai vécu le truc. Truc de malade. Tu vois le truc partir, choqué. Là, on re-rentre dans la salle 2-3 minutes plus tard, et là, les mecs, ils font « Tut, Cape Town ».
Olivier Roland : Le truc est déjà à Cape Town, c’est ça ?
Steven Herteleer : Trois minutes pour aller Cape Town, à 10 000km/h, tu dis « quoi ? ». Et là, je vois pareil 5-6 minutes plus tard, 10 000 km en orbite et tout, et genre une heure plus tard, le truc est géostationnaire.
Olivier Roland : À 36 000 km d’altitude.
Steven Herteleer : Oui. Pétage de plombs. Et là, champagne, tout le truc, les mecs trop contents, parce que pour les gens qui lancent une fusée, c’est un moment déterminant. Là, c’était les satellites du Maroc, si je ne me trompe pas. Pour eux, c’est déterminant. Moment de ouf.
C’est là où l’email dont je parlais juste avant a été déterminant. Je l’ai envoyé mais complètement au pif. J’ai eu un feeling, je me suis dit « je veux aller en Antarctique en bateau à voile » et j’ai envoyé l’email.
Olivier Roland : Il y en a qui partent d’Argentine.
Steven Herteleer : Voilà. Alors là, ça partait de Montevideo, mais juste au-dessus de l’Argentine, à un stop de l’Argentine. Et en fait, le temps que la fusée se lance, tout le truc et tout, les gens me répondent et me disent « Oui. OK. On part dans une semaine, on a une personne qui a annulé, est-ce que tu es chaud pour nous rejoindre ? ». Je fais « Oui, OK ».
Olivier Roland : Mais là, tu es en Guyane, c’est vraiment le Nord, Nord du Brésil et tu as une semaine pour aller tout en bas.
Steven Herteleer : Oui, sachant que j’ai sauté une étape. J’avais voyagé un peu, ils ne m’ont pas répondu pendant la fusée. J’étais à Manaus, en plein milieu de l’Amazonie.
Olivier Roland : C’était après la fusée Ariane. Tu étais à Manaus quand ils ont répondu.
Steven Herteleer : 2 semaines plus tard, genre après vraiment 2 semaines sans Internet. C’est ça aussi. C’est qu’en fait, il m’avait dit « tu peux venir » et avec le décompte des jours, j’avais loupé une semaine. J’étais large. En fait, j’étais plus large.
Donc, j’étais en plein Manaus et le décompte des jours fait que j’avais pile le temps de sauter dans un bateau pour descendre l’Amazone et dans un bus. Et là, j’ai trouvé le bus le plus taré du monde, 100 heures de bus direct de Belém à Montevideo. Et les mecs te vendent ça comme un bonus. Ils te disent « Service luxe, 100 heures de bus, aucune pause ».
Olivier Roland : Zéro pause ?
Steven Herteleer : Zéro pause.
Olivier Roland : Non, mais il s’arrête quand même de temps en temps pour que tu puisses manger.
Steven Herteleer : Juste pour l’essence. En fait, c’est le service ultra luxe que nous, on vit comme ultra painful, genre horrible. Donc, dis-toi.
Olivier Roland : 100 heures ? C’est dingue.
Steven Herteleer : Oui. 100 heures de bus. Non, mais là, c’était une dinguerie parce que…
Olivier Roland : C’est 4 jours quoi.
Steven Herteleer : Oui. C’est ça. Oui.
Olivier Roland : 4 jours et demi.
Steven Herteleer : 4 jours full.
Olivier Roland : Mais tu peux t’allonger, tu peux dormir. C’est comme un train-couchette, c’est un bus-couchette. Il y a des toilettes. Donc, ils donnent à bouffer dans le bus.
Steven Herteleer : Oui. Des plateaux-repas.
Olivier Roland : Et ils sont plusieurs chauffeurs à se relayer ou pas ?
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Il vaut mieux parce que bon.
Steven Herteleer : Alors, ils sont 3 chauffeurs. Tu en as un qui conduit, un qui surveille et un qui dort dans un sarcophage sous celui qui surveille. Donc, les mecs dorment dans une caisse pendant 8 heures, et après, ils se lèvent et ils vont conduire. Je pense qu’il doit y avoir beaucoup d’accidents. On n’en a pas eu, pas sur ce coup-là, mais truc de dingo. Et c’est film de karaté full volume, clim à 10 degrés. Et puis, moi, je ne savais pas, j’étais en short et en marcel, parce que la troisième règle du jeu, c’était sans bagage.
Olivier Roland : What ?
Steven Herteleer : Aucun bagage.
Olivier Roland : D’accord. Tu te dis c’est trop facile de voyager normalement. Zéro bagage.
Steven Herteleer : Oui. Donc, j’avais mon passeport, carte bleue.
Olivier Roland : Mais tu avais un sac quand même.
Steven Herteleer : Non.
Olivier Roland : Aucun sac.
Steven Herteleer : Pas de fringues de rechange.
Olivier Roland : Un sac banane, même pas ?
Steven Herteleer : Rien du tout. Pas de téléphone.
Olivier Roland : Pas de téléphone ?
Steven Herteleer : Aucun téléphone, rien du tout. Juste vraiment passeport, carte bleue, appareil photo, cartes mémoires, chargeur d’appareil photo, brosse à dents.
Olivier Roland : Tu mettais ton appareil photo en bandoulière ?
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Mais au Brésil, c’est dangereux de faire ça.
Steven Herteleer : Oui. Mais ça s’est bien passé.
Ça s’est bien passé. Il y a quand même des mecs qui venaient me voir, genre « ah, je connais ton modèle » et tout, donc un petit coup de pression. Je n’ai jamais eu de problème avec cet appareil photo. J’en avais pris un qui avait un look un peu rétro, qui faisait un peu discret, mais l’appareil photo, cela s’est bien passé. Et je l’avais par contre tout le temps contre moi, sous le bras comme ça. Mais du coup, je me retrouve en micro short parce que 40 degrés en Amazonie humide, c’est micro short, marcel, tong. Tu rentres dans un bus à 10 degrés pendant 4 jours, j’ai dit « Ce n’est pas possible, mais pourquoi ils mettent la clim si froid ? ». Et pour eux, c’est considéré comme du luxe. Pour toi, c’est une torture.
Olivier Roland : Tu ne peux rien, vas-y, oui.
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Ça montre ta richesse en fait quand tu mets la clim super froide.
Steven Herteleer : Oui. Du coup, là, ça m’a montré à quel point, moi, j’étais pauvre. Et heureusement, ils te donnent des blanquettes. Donc, j’en avais pris deux ou trois, je m’étais emmitouflé dedans. Tu es là, tu cailles, film de karaté, ça gueule 24h/24.
Olivier Roland : Tu es fatigué en plus.
Steven Herteleer : Tu fais genre « putain, ce n’est pas possible, c’est une torture ».
Olivier Roland : Et ils le mettent aussi quand les gens dorment ?
Steven Herteleer : Oui. Jour et nuit parce que les gens ne dorment pas tous au même moment. Et puis, tu as mal au cul. Au bout de 3 heures, tu as mal au cul. 3 heures, il en reste 97. Du genre peut-être « ce n’est pas possible les gars, mais what the fuck ? »
Donc, tu essaies de dormir. Ils ne te donnent pas de boule quies, donc tu mâches des serviettes et tu te les colles dans les oreilles. Tu t’emmitoufles la tête. C’est un bus de clochard, franchement. Tu ne te laves pas pendant 100 heures, tu as chaud, tu as froid, tu ne dors pas, tu as le son. Tu ne manges que…
Olivier Roland : Ça fait bien sentir la faim.
Steven Herteleer : Oui. Il y a les toilettes. C’est un luxe. On n’a pas besoin de s’arrêter pour les toilettes, mais alors que ce serait un plus de s’arrêter, mais eux, ils le voient comme « Pas besoin. Nous, on a les toilettes dans le bus. » Évidemment, ils sont pétés au bout de 4 heures. Donc voilà, cauchemar, le truc cauchemar. Mais en 100 heures, on arrive pile à temps et j’arrive à chopper le bateau. J’étais toujours en micro short et en marcel.
Olivier Roland : Mais tu avais un seul sous-vêtement ?
Steven Herteleer : Oui. Pendant un an, j’ai eu un seul sous-vêtement.
Olivier Roland : OK. Tu lavais tes vêtements quoi.
Steven Herteleer : Tous les quelques jours. En fait, ce que je faisais, d’ailleurs, j’ai continué, c’est que je n’ai pas de slip aujourd’hui. Non, je blague.
Non, mais à un moment, tu vas le laver et puis tu vas sortir au resto avec un pantalon sans le slip. Tu es en voyage, tu es en tour du monde. Si ce n’est que ça, tu te démerdes. Et puis, je ne le lavais pas tous les jours. C’était deux fois par semaine, trois fois par semaine en fonction. Quand il fait chaud, ça sèche vite, ça sèche pendant la nuit. Et puis, le pantalon, je le lavais moins souvent, genre tu dors en slip et tu le laves pendant la nuit.
On n’était pas à 100 % sur l’hygiène, on va dire. C’était un peu dégradé là-dessus, mais quand cela te permet de voyager sans bagage. Au début, c’est une énorme contrainte, mais une fois que tu es dans le périple, c’est une énorme liberté. Et ça, si on rebouge un peu plus sur la philosophie, si on s’éloigne du storytelling, ce qui est passionnant dans ce triptyque, alors je ne l’avais pas anticipé, j’avais ressenti qu’il fallait impérativement que je voyage sans bagage, sans avion et sans hôtel, mais je ne savais pas pourquoi. Et c’est pendant le tour du monde que je l’ai théorisé. Et c’est après le tour du monde en expliquant que j’ai compris l’intuition que j’avais eu et pourquoi ça m’avait attiré.
C’est lié aussi au câble qui a pété avec le décès de ma mère et cette logique de « OK, je pars à la rencontre de moi-même, j’explore l’aventure ». La logique, c’est que quand tu voyages, c’est très difficile de sortir de ton pays et de vraiment connecter avec le pays dans lequel tu te retrouves. Notamment les avions, c’est une espèce de bulles de confort occidental qui font que tu peux très bien aller dans un pays et ne pas y avoir mis les pieds. Tu vas dans un taxi ou dans ton Uber, tu prends l’avion, tu vas dans un bus qui te récupère, tu vas dans un hôtel, tu vas faire un circuit organisé, tu reviens dans l’hôtel, avion, tac, tu n’as pas été, tu as été dans un tuyau où par la vitre, tu as vu le pays, mais tu n’as pas été dans le pays.
Olivier Roland : Je comprends ce que tu veux dire. En particulier, si on a des trucs comme le Club Med.
Steven Herteleer : Oui. Exactement, clairement.
Olivier Roland : Et la plupart des gens voyagent comme ça.
Steven Herteleer : Oui. Et après, tu as des manières plus aventurières de le faire. Tu prends un guide qui parle français et qui va te montrer les trucs. Mais tu es toujours dans une bulle de confort où on va pouvoir te faire toucher les locaux. Tu peux toucher la pierre pour de vrai, tu peux sortir du Club Med. Après, tu peux aller un peu plus loin. Ce que j’ai fait au début sur mes premiers voyages, c’est que tu le fais tout seul mais avec un guide du routard ou avec un Lonely Planet.
Olivier Roland : C’est ce que je fais encore.
Steven Herteleer : Oui, mais c’est déjà génial. Tu es en contact avec des gens.
Olivier Roland : Oui, je trouve que c’est incroyable. Et encore, il n’y a pas beaucoup de gens qui font ça finalement, surtout seuls.
Steven Herteleer : C’est déjà l’aventure. Mais en vrai, si tu pousses le raisonnement jusqu’au bout, on te raconte la suite de l’histoire. Comme ça, genre, cette auberge, tu y vas, celle-là, tu n’y vas pas. Et dans cette auberge, tu demandes Michel et il va te préparer un cocktail comme ça. Et tu dis « Mais je n’aime pas les cocktails comme ça ». Et dans celle-là ? Ah oui, OK, je vais aller dans celle-là. On te raconte quand même un peu. C’est comme si on te racontait le film une minute avant pour être sûr que tu n’aies pas trop peur. Donc, c’est quand même de l’aventure.
Olivier Roland : Une belle image.
Steven Herteleer : Tu vois ce que je veux dire. Alors qu’en vrai, c’est extraordinaire ce qui se passe quand tu sautes. Les gens sont bienveillants en voyage surtout quand ils voient quelqu’un se ramener. Tu imagines, tu es en Bolivie et tu expliques aux gens « je voyage sans bagage ». Les mecs, ils font « Mais quoi ? Tu n’as rien ? » « Non, rien ». Tu es habillé comme ça, tu as les cheveux longs, la barbe, Jésus quoi. Le gars dit « qu’est-ce que tu fous ? ». « Rien du tout ». Et le mec, tu dis « cela fait un an et demi que je voyage ».
Les mecs, ils ont l’impression de tomber sur les gars, ça, les mecs qui font le tour du monde à vélo, le gars, l’histoire de ouf, donc tu veux absolument le mec chez toi. Bien au contraire. Cela t’ouvre toutes les portes. Et en fait, tu n’es pas encombrant. Tu n’as pas tous tes bagages, tu n’as pas des potes avec qui tu voyages, tu dors par terre, tu t’en fous.
Le triptyque déverrouille énormément de choses. Tu rencontres beaucoup plus de gens que si tu étais dans l’avion, beaucoup plus de gens que si tu étais entre potes. Tu rencontres beaucoup plus de gens que si tu avais des hôtels, que si tu avais des bagages parce que les bagages, pareil, tu dis « ah oui, la personne va vouloir squatter ». Il y a tout un truc autour du voyageur. Et là, tu es juste un local, tu sors de tout ce que les gens connaissent.
Olivier Roland : Tu fais moins peur.
Steven Herteleer : Tu es un gars en tong à 20 000 kilomètres de chez lui et qui n’a rien. C’est genre, mais quoi ? Je vais au minimum parler une heure avec toi pour comprendre ce qui se passe et cela ouvre toutes les portes.
Cela ouvre toutes les portes. Ça, c’est en termes de connexion par rapport aux gens que tu rencontres. Mais par rapport à toi-même, cela te fait sauter énormément de verrous parce que tu peux pousser le truc jusqu’au plus petit détail, genre un coupe-ongle. Si tu as un coupe-ongle sur toi, tu n’as pas besoin d’aller demander aux gens un coupe-ongle. Si tu n’as de coupe-ongle, tu es obligé de trouver quelqu’un qui va te filer un coupe-ongle, parce que sinon, tu as des griffes et ce n’est pas possible. Donc, tu es entièrement à la merci de l’endroit où tu trouves, tu n’as rien.
Olivier Roland : Et tu es obligé de te sortir de ta zone de confort.
Steven Herteleer : Tout le temps, tous les jours. Et la zone de confort, elle n’existe même plus. Tu es dans un déséquilibre permanent et cela devient une seconde nature, c’est-à-dire que bien évidemment, moi, j’étais terrifié au début. Au moment où je suis parti de Paris en train pour aller vers la Rochelle, j’arrive à la Rochelle, je fais « OK. Allez, le port. Oh, putain, mon téléphone ». Mais il est où le port ? OK. Je vais aller demander à quelqu’un dans la rue. « Bonjour, le port s’il vous plaît ? » « Oui, on a deux » Ah, super. Génial. Génial, génial
Olivier Roland : On va faire les deux.
Steven Herteleer : On va faire les deux, oui. Et du coup, je vais prendre un Uber, ça va aller plus vite. Ah, mais je n’ai pas de téléphone, donc pas de Uber. Je vais marcher 5 km jusqu’au port ou faire du stop, et direct. C’est immédiat, tu prends une claque en pleine tronche. Et en fait, ce qui est trop bizarre, c’est que le bateau, donc un port a des milliers de bateaux, tout de suite, je l’ai trouvé.
C’est une question qu’on m’a souvent posée, genre, mais comment tu trouvais les gens ? Tu n’as pas besoin de téléphone. On a appris le confort du téléphone, donc cela va nous permettre d’accélérer les choses. Mais quand tu n’as plus ton téléphone, tu peux te donner rendez-vous avec quelqu’un sur la Place du Trocadéro, tu vas trouver la personne. Si tu n’as pas de téléphone et que tu sais que tu n’as pas de téléphone, tu vas dire des choses différentes, tu vas anticiper et tu as juste une autre manière de fonctionner qui fait que tu n’as plus besoin du téléphone. Et ça te libère un truc de malade.
Il y a un truc philosophique avec le téléphone. C’est que toute ta pensée, elle est focalisée, elle passe par ce tuyau qui va mâcher toute ta pensée pour que cela filtre dans le fonctionnement du téléphone, donc de la batterie, des textes courts, des SMS, des vocaux, des trucs, une façon de parler, un texte trop long, ça ne marche pas sur un téléphone. Tu formates l’intégrité de ta pensée, tu la digères. Comme quand tu parles d’ailleurs, quand tu parles en français, tu digères tout ce que tu penses et tu l’appauvris pour en faire de la parole. Un téléphone, c’est encore plus bourrin. En fait, quand tu enlèves le téléphone, quand tu enlèves tout ça, on parlait tout à l’heure d’état de flow, tu es de nouveau dans une sorte d’état de flow par rapport à la vie. Tu connectes par rapport aux gens, tu ressens le truc.
Olivier Roland : Ce qui était la manière par défaut d’être jusqu’à il n’y a pas si longtemps finalement, tu as voyagé comme les grands-parents de grands-parents.
Steven Herteleer : Exactement. Les mecs qui partaient en caravelle. Et encore, je pense qu’ils emmenaient des provisions.
Olivier Roland : Oui. C’est sûr.
Steven Herteleer : Mais ça, je me suis toujours demandé. Comment les mecs à l’époque partaient ? Les voyageurs, les premiers voyageurs, écrivains et tout, ils partaient avec quoi comme type d’argent ? En 1500, tu pars avec quoi ? Avec des écus ? Mais ça ne vaut rien un écu à l’autre bout du monde.
Olivier Roland : De l’or, des trucs quand même universellement reconnus.
Steven Herteleer : Probablement. Oui, c’était des tarés les mecs qui partaient à l’époque.
Du coup, c’est entièrement démuni de toutes ces choses-là que je me suis rendu compte que tout ça, ce sont des câbles qui te retiennent, comme ma mère était un câble aussi. Ma mère, c’était le câble de sécurité « Ne fais pas ça, c’est dangereux. Est-ce que tu es sûr que tu peux ? Mais attends, mais moi, je vais avoir peur. » En fait, c’est elle qui avait peur et qui me transmettait sa peur.
Ça, c’est un câble. Mais tu as un autre câble qui est ton éducation. Et ton éducation, quand tu prends un sac avec toi, tu l’as dans ton sac parce que tu as ton coupe-ongle, tu as ton guide du routard, tu as ton téléphone, tu as tes fringues de rechange, tu as ta lessive, et dans ce pays-là, on ne fait pas la lessive comme ça. Donc, tu emmènes énormément de choses même avec un tout petit sac.
On parlait tout à l’heure de tous les mots de vocabulaire qui sont différents dans chaque pays, tu amènes des centaines de mots de vocabulaire avec toi quand tu prends un sac. Tu emmènes des concepts, des process, du vocabulaire, une philosophie, un point de vue sur la vie. Tout ça, tu les emmènes dans ton sac. Et si tu n’as pas de sac, tu es obligé de faire comme on fait localement. S’il faut, tu découvres qu’il y a des ciseaux spéciaux, que le mec, il se gratte sur une pierre, je n’en sais rien. Tu ne sais pas ce qui va t’attendre et tu es à poil. Tu es vraiment genre « Bon, gars, il me faut ça. Tu n’as pas une idée ? Tu ne peux pas m’aider ? ». Et tu es obligé d’apprendre la langue très vite. Tu ne peux pas tricher et prendre ton traducteur, même si très souvent, tu as envie. C’est extrêmement frustrant les premières fois.
Olivier Roland : J’aimerais comprendre pourquoi tu as voulu donner tant de contraintes parce que finalement, tu as raisonné. Tout ça, tu l’as trouvé après-coup.
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Je veux dire, on peut quand même être dans une aventure assez extraordinaire, toujours en regardant son téléphone. Après tout, si tu le mets dans ta poche, ça ne prend pas non plus beaucoup de places. Et cela t’aide quand même beaucoup. Google translate, c’est quand même génial pour ça. Je me rappelle, à Hong Kong, j’étais tombé sur des gens qui ne parlaient que chinois, ça dépanne quand même. Pourquoi tu as voulu vraiment te donner toutes ces contraintes-là ?
Steven Herteleer : À l’époque, c’était un mélange d’intuition et de défi. C’est sûrement en partie en réaction avec ma mère qui m’interdisait des trucs et, maintenant, je m’y autorise. Sûrement l’énergie de la vingtaine aussi où je me suis dit « oui, je veux faire toutes les aventures, aller en voilier, monter les montagnes et tout », tous ces trucs-là, et un mélange d’intuition, je sais qu’il y a un truc à craquer de ce côté-là, ça m’attire et je vais y aller.
Après-coup, maintenant, je vais pouvoir te répondre a posteriori et aussi te dire qu’aujourd’hui, je voyage avec un téléphone. Je voyage toujours très léger, mais la décision que j’ai prise à l’issue de ce voyage, c’est : il faut juste garder 20% de tes bagages. Il ne faut pas voyager avec aucun change, il faut voyager avec un change. Il ne faut pas voyager avec aucun téléphone. Ça, c’est important le téléphone parce qu’en effet, ça déverrouille des conversations et ça permet quand même de gagner beaucoup de temps. Oui, par prouesse ou par défi, tu peux arriver à faire sans téléphone, mais c’est quand même beaucoup plus dur. C’est quand même plus compliqué, mais ça te permet d’atteindre des choses que tu ne peux pas atteindre sinon.
Et ce que moi, cela m’a permis d’atteindre, c’était cette volonté du truc dont je parlais un peu au début, qui est qu’un de mes buts de la vie, c’est de tester toutes les vies, tester tous les pays. Et finalement, pour moi, le voyage, c’est une manière de te tester au contact d’une autre culture et de voir à quoi tu ressembles si on te met dans ces conditions, de la même manière que j’ai testé en entreprise. À quoi je ressemble si j’ai un costard devant que des mecs en costard et où il faut dealer un gros truc ? À quoi je ressemble si je suis devant une audience et qu’il faut parler devant des gens et leur mettre de l’émotion ? Mais à quoi je ressemble si je n’ai plus rien et que je suis au Brésil et que je dois faire comme un Brésilien ?
En fait, j’ai pu en un an, je n’ai même pas compté d’ailleurs, mais j’ai dû voir 60… En 2 ans, pardon, j’ai dû voir entre 60 et 80 pays pendant ce tour du monde. Dans chaque pays, tu vas au Brésil, tu as une manière de faire, tu as une manière de taper la discute, tu as une manière de te faire des potes. Tu vas au Chili, c’est totalement différent.
Olivier Roland : Et je crois que tu as la barrière de la langue en plus.
Steven Herteleer : Exactement. Et du coup, en Amérique Latine, très vite, j’ai pu apprendre le brésilien parce que ce sont les mêmes mots, tu les fais chanter et tu captes. Mais je ne parlais pas super bien, mais je pouvais un peu taper la discute. En Espagne, ça a réécrit tout ce que j’avais appris en brésilien, donc j’ai tout oublié du brésilien, mais cela a renforcé ma connaissance de la langue. Et en fait, au bout de 3 mois, en Amérique Latine du côté espagnol, je suis devenu bilingue, mais plus qu’en anglais.
Olivier Roland : Français et espagnol, tu veux dire.
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Parce que tu disais, l’espagnol, ça a un peu effacé ton portugais. C’est un peu le problème, c’est tellement proche. Il y en a qui voient le portugais en main directe de l’espagnol ou l’inverse d’ailleurs.
Steven Herteleer : Oui. Les deux sens. Les langues sont proches.
Olivier Roland : Je trouve que c’est vraiment très proche, il y a des phrases qui sont les mêmes. Sinon, il y a des petits trucs. Vraiment, oui. On peut voir ça comme une longue étape.
Steven Herteleer : Exactement. Et je pense qu’une fois que ta langue, elle est fixée, c’est bon, tu ne peux plus la perdre. Mais quand elle est très jeune, tu n’es que sur de l’impro et du à peu près, tu fais chanter un peu les mots, et donc en fait, c’est un peu du hasard, ce que tu fais à chaque fois quand tu parles une langue comme l’espagnol ou le portugais. Si tout de suite, tu le corriges par une autre, ce hasard, il va disparaître, tu vas l’oublier et tu ne l’auras jamais fixé. Je pense que maintenant, si j’apprenais le portugais, je n’oublierais pas l’espagnol.
Olivier Roland : Oui. Puis, cela se fait beaucoup au Brésil de parler le portugnol. Tu as l’espagnol, tu essaies de le portugiser un peu et en général, ils comprennent parce que quand même, ça va.
Steven Herteleer : C’est clair.
Olivier Roland : OK. Tu as fait 60 pays. Donc, tu es parti avec ce voilier en Antarctique. On ne va pas avoir le temps de détailler tous tes voyages malheureusement, mais après, tu as fait quoi ? Comment tu as fait pour changer de continent ? Tu es allé en Amérique du Nord ou pas ?
Steven Herteleer : Oui. Je te le fais en rapide.
Je reviens d’Antarctique, c’était exceptionnel. J’ai mis à peu près un an pour aller de la pointe Sud jusqu’à Chicago, tranquillement, par tous les pays. J’ai fait tous les pays d’Amérique du Sud, d’Amérique centrale.
Olivier Roland : Et tu n’as pas eu de problème pour passer la frontière Américaine ?
Steven Herteleer : Non.
Olivier Roland : Parce que tu ne peux pas passer la frontière terrestre avec un ESTA sur ton passeport français, il faut que tu aies un visa pour ça.
Steven Herteleer : Il y a deux endroits compliqués. Il y a le détroit du Darien, le Darien Gap, qui est au Sud du Panama, frontière avec la Colombie où ça ne passe pas. Il y a 200 km qui ne passent pas, il y a des orpailleurs, des chercheurs d’or, super dangereux. Il y a des moustiques qui ont des maladies. Il y a des narcos et tout, c’est chaud. Donc, tu dois le faire en bateau. Et il y a un deuxième endroit qui est en effet les US. Mais en fait, les US ne sont pas plus compliqués qu’un autre pays. Tu as des pays, par exemple, le Costa Rica, tu ne peux pas rentrer si tu n’as pas de billet de sortie.
Olivier Roland : Panama, c’est pareil. À la limite, tu achètes un ticket de bus, ça marche.
Steven Herteleer : Voilà. Mais si tu ne le sais pas, tu peux arriver à la frontière et non, je n’ai pas de ticket de sortie, cela peut être plus contraignant.
Etats-Unis, ça a été un truc de malade. Je ne me rappelle plus, mais j’avais dû gérer l’ESTA. Ça se fait en ligne. J’allais dans des cybercafés quand même.
Olivier Roland : Oui. Mais l’ESTA, ce n’est que pour les arrivées en avion ou en bateau.
Steven Herteleer : En tout cas, je n’ai eu aucun problème. Enfin, ce n’est pas que je n’ai eu aucun problème, c’est que cela a été un énorme show. Je suis rentré en plus le jour des élections mexicaines, quand Peña Nieto avait gagné en 2012, et cela avait été très chaud. Il y avait eu beaucoup de morts. Moi, j’étais à Monterrey et il y avait eu, je ne sais plus, 40 personnes pendues sur les ponts d’autoroute. Ensuite, le lendemain, ils avaient mis des mecs dans des sacs-poubelle sur toutes les autoroutes, donc c’était très, très chaud. Nous-mêmes, on s’était fait contrôler, genre vraiment mettre au sol et tout parce qu’on allait à une soirée, et les mecs étaient tendus de chez tendus. Il y avait un changement de président vers quelqu’un qui allait peut-être remettre en cause les narcos, donc les mecs ont pété un plomb. C’était très chaud.
Et je passe en bus vers le Texas, je crois. Je ne suis plus sûr de où, à un endroit paumé de chez paumé, pas un gros truc. Ma destination, c’était une grosse ville du Texas. On arrive à 23h, on se fait déposer. Tous les Mexicains passent, ils avaient un truc spécial. Ce sont des frontaliers, donc ils ont une espèce de truc qui leur permet d’aller en illimité, ils passent tous en une minute. Et moi, c’est tellement long que le bus se casse, s’en va, heureusement que je n’avais pas de bagage. Le bus se casse et cela dure bien une heure et demie. Et en fait, les mecs, ça devient le gros show. Je n’avais pas de tune parce qu’il n’y avait pas de distributeur, je n’avais rien du tout. Il fallait payer 10 balles pour rentrer ou 20 balles, ou un truc comme ça.
Olivier Roland : Et puis, tu n’avais aucun bagage, c’est super bizarre. De tous les pays que j’ai faits, les américains, ce sont les plus paranos.
Steven Herteleer : Oui. En fait, ce qui s’est passé, c’est que storytelling. Les mecs, je commence à leur raconter mon histoire. Je leur dis « Oui, je suis en train de faire le tour du monde ». Je voyais que cela bloquait, je voyais que les mecs étaient en mode genre « c’est quoi le bordel ? », donc je me suis dit « il faut que j’envoie du rêve comme un malade ». Et je leur dis « Cela fait un an que je fais ça, c’est un défi. C’est une première mondiale. » J’augmente le truc à l’américaine.
Et en fait, les gars, ça finit. Ils ont fermé le poste frontière, donc tu avais une vingtaine de personnes qui étaient bloquées dehors. « Putain, dépêchez-vous » « non, non, non, non ». Ils avaient fermé le poste frontière, ils étaient tous agglutinés sur moi et les mecs m’ajoutaient tous sur Facebook. « C’est quoi ton Facebook ? » et tout. Et c’est le boss du post qui dit genre « Les 20 dollars, mon gars, ils sont pour moi. Tac, voilà 20 dollars. » Il payait lui-même
Olivier Roland : Ah oui, c’est incroyable quand même.
Steven Herteleer : Le tampon. Et je ne sais plus comment ça s’était passé le détail sur l’ESTA. J’avais peut-être dû le prendre en avance ou peut-être que je l’avais fait à la frontière, mais c’est surtout, c’était le « Pourquoi tu veux rentrer ? Tu es qui ? C’est quoi l’histoire ? » En fait, ils sont passés en mode « waouh » et après, ils allaient « This man, yeah, il est train de faire le tour du monde à pied. C’est un truc de malade. On a une célébrité. » C’est plus passé sur ça. Et donc, j’ai chopé le bus d’après et je me suis retrouvé aux Etats-Unis.
Ensuite, Etats-Unis, je retrouve mon père à Chicago.
Olivier Roland : Une ville que j’ai découvert récemment, qui est vraiment incroyable d’ailleurs.
Steven Herteleer : J’adore Chicago. C’est vraiment top.
Olivier Roland : J’étais vraiment surpris par la qualité de la ville.
Steven Herteleer : La ville est incroyable. Elle a une histoire de ouf. Elle a été totalement détruite par un incendie en 1900, je crois, donc elle est reconstruite comme ça. Et oui, la ville est ouf.
Olivier Roland : C’est la ville à Al Capone et tout ça, de la prohibition.
Steven Herteleer : Et on ressent un peu cela, je trouve. On ressent un peu cela dans la ville. Et là, c’était l’été, je pense qu’elle est très différente en hiver. Je pense qu’on est à la frontière du Canada, donc on doit taper des moins 10, moins 20.
Olivier Roland : Absolument. J’ai découvert cela en juin, pareil il faisait chaud. Puis, c’est fou, mais il y a des plages parce qu’on est sur les Grands Lacs et il y a des vagues. Le lac est tellement grand qu’il y a des vagues et tout. C’est fou. Alors que c’est de l’eau douce.
Steven Herteleer : Oui. J’ai beaucoup aimé cette ville.
Olivier Roland : Et là, tu pars au Canada alors ?
Steven Herteleer : Alors, non. Cette ville, elle a une spécificité, c’est que c’est le départ de la route 66.
Olivier Roland : Oui, c’est vrai.
Steven Herteleer : Et discours de ma mère, j’avais dit « mon père fera le tour du monde en moto », et donc, on a fait la route 66 en Harley Davidson.
Olivier Roland : Génial. En plus, tu en as profité pour te connecter avec ton père.
Steven Herteleer : Oui. Mon père et mon frère. Ils sont venus me voir 3 fois pendant le tour du monde. Une fois à Ushuaia pour Noël, une fois à la route 66 en été.
Olivier Roland : Ushuaia, c’est… Attends, c’est…
Steven Herteleer : Pointe Sud, en revenant d’Antarctique. Je suis revenu en Antarctique et j’ai fait Noël avec eux. Et du coup, route 66 jusqu’à Los Angeles. Là, Los Angeles, fait marquant, je change de slip. Cela faisait un an que j’avais le même slip.
Olivier Roland : Et il avait une couleur encore…
Steven Herteleer : Il était surtout très troué. Il avait plein de trous. Je change de slip et je change de chaussures. Elles étaient défoncées les chaussures.
Olivier Roland : Et là, c’est ton père qui te les a payés ?
Steven Herteleer : Non. Une fois qu’il est reparti, je me suis fait mon premier tatouage, un slip, des chaussures.
Olivier Roland : Donc, ce tatouage-là.
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : OK. Ça, c’était où alors ?
Steven Herteleer : Ça, c’était à Los Angeles.
Olivier Roland : Donc, avec un voilier, c’était pour symboliser un peu ton esprit d’aventurier de voyage.
Steven Herteleer : Oui. En fait, ce tatouage-là, on voit un voilier, mais c’est un trompe-l’œil. En fait, c’est un cercle où il y a un trou ici, et c’est ça le vrai tatouage. Le cercle, c’est pour le côté très rationnel, très carré de mon père qui m’a appris beaucoup de choses dans le côté logique, c’est comme ça que les choses fonctionnent, c’est ça le sens de la vie. Pour moi, le cercle, c’est la figure mathématique parfaite. Et le trou, c’est la page blanche. C’est le côté de ma mère, genre même quand on est à 99% de quelque chose, il reste toujours 1% qui fait qu’on va pouvoir tout changer encore. Cette logique de la page blanche, le cercle est encore ouvert. Et ce n’est peut-être pas un cercle en fait, c’est peut-être un carré parce qu’il n’est pas fermé. Donc, c’est le mélange des deux. Et j’ai mis un bateau dedans pour le côté tour du monde, et comme ça, on voit juste le bateau. Mais c’est vraiment ce symbole, le truc.
Olivier Roland : Donc, tu as fait la route 66 en entier ? Donc, de Chicago à Los Angeles ?
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : C’est Venice Beach, non ? Ce n’est pas loin de…
Steven Herteleer : Oui. À Santa Monica.
Olivier Roland : Au moins, moi, j’ai vu le début et la fin.
Steven Herteleer : Santa Monica.
Olivier Roland : Ça t’a pris combien de temps ?
Steven Herteleer : 6 semaines.
Olivier Roland : En moto en plus. Extraordinaire. Puis, j’imagine que ça t’a permis de bien te connecter avec ton père.
Steven Herteleer : Oui. C’était vraiment top.
Olivier Roland : Tu as vécu le truc de biker quand vous étiez en Harley, sans casque ?
Steven Herteleer : Ça dépend des États.
Olivier Roland : Oui. Il y en a où c’est obligatoire, parce que c’est vrai que quand tu es en Harley, quand tu es sans casque, tout de suite, tu te fais reconnaître par les motards qui te saluent. Mais si tu es en casque, c’est que tu ne fais pas partie du clan.
Steven Herteleer : Exactement. Et alors, c’était avec des potes à lui. Donc, on était 6 Harleys, il y avait un 4×4 de ravitaillement derrière. Comme ça, on pouvait parfois laisser les casques dans le 4×4. C’était bien organisé. C’était un groupe de bikers qui faisaient un peu le monde entier.
Olivier Roland : Et vous dormiez dans le camion ?
Steven Herteleer : Non. Il y a une exception. C’est vrai que ma règle du jeu, c’était que je dépensais zéro euro pour dormir, je me faisais inviter chez les gens et donc je dormais dans la chambre de mon père. Donc, de fait, c’était un hôtel, mais c’était l’hospitalité et c’est lui qui m’invitait.
Olivier Roland : Tes 10 000 euros de base t’ont servi pour tes 2 ans ou tu as gagné de l’argent à un moment quand même ?
Steven Herteleer : Non, j’ai gagné de l’argent. J’avais un appareil photo et j’ai L’Oréal qui, à l’époque, s’est dit « Internet, c’est une technologie qui va marcher. Il serait peut-être temps de faire… »
Olivier Roland : On est déjà en 2011 là.
Steven Herteleer : Oui, c’est ça. C’est pendant l’Amazonie que ça s’est fait, le moment où j’ai pu négocier l’Antarctique et en même temps, j’ai négocié un job à L’Oréal.
Olivier Roland : Tu n’avais pas d’ordinateur, on est d’accord ?
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Donc, tu allais dans les cybers obligatoirement et tu te loguais à ton compte.
Steven Herteleer : Oui, c’était à l’ancienne. Et j’ai chopé des virus comme ça, c’était un peu chiant.
Olivier Roland : Et comment tu as fait ? Parce que tu avais combien de cartes mémoires que tu avais apportées ?
Steven Herteleer : 6.
Olivier Roland : Et comment tu faisais pour gérer ça ?
Steven Herteleer : Là, il m’a fallu longtemps pour…
Olivier Roland : Tu as dû mettre sur Dropbox.
Steven. Non. Ça, on ne le faisait pas à l’époque.
Olivier Roland : Non, tu m’avais dit ça en off, c’est ça, tu les envoyais par la poste.
Steven Herteleer : Oui. Il m’a fallu longtemps pour cracker ce concept. En fait, en 2006, quand je suis parti en Inde pendant 6 mois, dans mon dossier de candidature pour LVMH, je m’étais dit « il faut que je cracke un concept qui s’appellerait données indestructibles, parce que si je pars 6 mois et que je perds les photos… » Donc, je m’étais creusé la tête dans tous les sens jusqu’à trouver le concept parfait qui est que toutes les données doivent être en permanence à deux endroits pour avoir deux fois moins de chance de les perdre. Sauf si tu te fais racketter, mais à un moment donné, rien n’est… voilà.
Et il n’y avait pas trop le cloud à l’époque, 2011. Les temps de transfert étaient trop longs. Donc, j’achetais un disque dur et mes cartes mémoires, je les mettais sur le disque dur. Je trouvais des Français et les Français, je leur disais « OK. Dès que tu es en France, tu rencontres mon père. » Mon père récupérerait le disque dur, il le checkait qu’il fonctionnait bien, il en faisait un back-up lui-même sur d’autres disques durs à la maison. Et quand mon père me disait « C’est bon ! Je l’ai à deux endroits. », là, j’effaçais ma carte mémoire. Le tour du monde a duré 2 ans et je l’ai fait 6 fois. Donc tous les 3 mois, à peu près 3-4 mois, mes cartes mémoires étaient pleines et j’essayais de trouver un disque dur.
Olivier Roland : C’est vraiment intéressant de voir à chaque fois comment tu te débrouilles pour gérer ça. Donc, Amérique du Nord. Après, tu vas où ?
Steven Herteleer : Là, Los Angeles. À San Francisco, je chope un cargo qui va jusqu’à Hong Kong.
Olivier Roland : C’est incroyable quand même. Qu’est-ce que tu as fait dans ce cargo alors ? Tu as bossé ?
Steven Herteleer : Si, si. Je savais que j’allais un peu m’ennuyer, mais je ne pensais pas à quelle hauteur j’allais m’ennuyer. Tu n’as absolument rien à faire dans un cargo.
Olivier Roland : D’abord, tu vas dans le port de Hendaye et tu vas dire aux gens « je veux, je cherche un bateau pour m’emmener à Hong Kong. »
Steven Herteleer : Non, je l’avais anticipé. Je l’avais anticipé parce que c’est extrêmement dur d’embarquer sur un cargo, donc ça m’a pris des semaines et des semaines, genre cela faisait 2-3 mois que j’étais sur le dossier et j’ai fini par trouver le contact d’une personne qui accepte de me prendre sur le bateau. Et en gros, à la fille, je dis « est-ce que vous pouvez m’inviter ? » Elle me dit « Non, clairement pas. Le bateau, le transport, c’est… »
En fait, j’étais le seul passager à bord et le bateau change de loi s’il y a un passager à bord. =-De marchandises, cela devient marchandises et personnes. Donc, elle m’a dit « Mon gars, tu n’as même pas idée de ce que cela me coûte. »
Olivier Roland : Par contre, tu peux bosser.
Steven Herteleer : Tu peux bosser si tu as un ordi, par exemple.
Olivier Roland : Non, mais ce que je veux dire, c’est que tu peux être considéré employé. Tu vois ce que je veux dire ?
Steven Herteleer : Oui, mais non. Parce qu’en fait, les cargos, ça oblige aussi. Alors, Transatlantique à la voile, obligatoire, voir une fusée décollée à mettre sur la bucket list et traverser un océan en cargo, à mettre sur la bucket list.
Olivier Roland : Finalement, tu es rentré en quelle catégorie ? Pourquoi ils t’ont accepté ?
Steven Herteleer : Passager, ils m’ont pris en passager.
Olivier Roland : Malgré toutes les emmerdes que cela amenait.
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : C’était un peu la même compétence que Steve Jobs puisque tu as ce reality distortion field, le champ de distorsion de la réalité.
Steven Herteleer : Oui, c’est possible. Je ne connais pas cette théorie, mais probablement.
Olivier Roland : Steve Jobs, il avait cette réputation de faire en sorte qu’il y ait des choses qui étaient soi-disant impossibles qui se manifestaient.
Steven Herteleer : Oui. En fait, c’est par l’envie que tu embarques les gens. À la fille, je dis « Mais je vais faire un reportage, il y a ce tour du monde, ce truc », par la discussion. En fait, si tu te mets à sa place, elle, elle a un job. Là, je lui apporte une contrainte sur un plateau, genre relou, il faut changer plein de trucs. Il faut que je la convainque de faire plein de photocopies en plus, de faire des déclarations, de faire des trucs, limite, je ne sais même pas si leur truc est probablement à perte. Ça lui a probablement coûté 10 000 euros de changer l’affectation, je n’en sais rien.
Olivier Roland : Mais pourquoi, elle a fait ça ?
Steven Herteleer : Parce que ce n’est pas son argent. Elle a des journées de 8 heures et peut-être que son job, elle l’a trouvé plus intéressant par ce truc qui arrivait. Je ne lui ai pas posé la question, mais c’est ce que j’imagine. Sur un plateau, je lui apportais un truc qui change un peu, qui est un peu différent, le mec un peu taré, je vais bien sûr raconter les zéros bagages, zéro hôtel. Je lui ai fait un peu peser une responsabilité sur les épaules. Je dis « c’est le truc que je dois cracker pour traverser l’océan, sinon je suis bloqué. » Donc en fait, le projet échoue, on est dans une semaine…
Olivier Roland : C’est beau parce que ça, tu embarques les gens dans ton projet, tu les fais rêver. Peut-être des fois aussi, tu fais un peu de marketing en disant c’est le célèbre gars qui fait le voyage au tour du monde, tout ça. Et il ne faudrait pas que tu sois la personne qui fait tout capoter. Tu ne le dis jamais, mais c’est entendu.
Steven Herteleer : Exactement. Je ne mets pas cette pression-là, mais la personne le comprend et j’ai plus joué sur l’inspiration. Mais ça a été long. Là, je te raconte en deux secondes, mais ça a été des semaines et des semaines jusqu’à trouver la bonne personne, qu’elle accepte. Ensuite, en plus la paperasse, moi, ce n’est pas mon fort, donc elle me demandait des trucs et je mettais longtemps à les envoyer. Ça a été très compliqué, mais ça, elle l’a fait. Ça correspondait bien avec la date de fin de Harley Davidson, il y a eu 4 jours de différence entre les deux, donc c’était nickel.
Et là, j’arrive au port, j’avais mon truc imprimé. 3h du mat l’embarcation, puisque les cargos, il n’y a pas d’horaire. De jour, de nuit, ils s’en foutent. 3h du mat et j’arrive au port, et le gars du port m’a dit « Non, non. Impossible. Sorry, ce n’est pas possible ça. » Je dis « si, si et tout. » Bref, on négocie pendant longtemps. Je comprends bien après que j’étais le premier passager à embarquer sur ce trajet. La raison, c’est que tu peux faire des voyages en cargo dans le monde entier, mais le San Francisco – Hong Kong, il n’y a rien à voir. C’est de l’océan pendant 3 semaines. À moins d’être un fugitif, tu n’as aucune raison de bouger en cargo avec rien à faire, pas Internet, personne à bord, de l’eau. C’est vraiment genre…
Olivier Roland : Puis, ce n’était pas le grand confort, j’imagine.
Steven Herteleer : Un Ibis, on va dire, Ibis plus.
Olivier Roland : Mais tu as dû payer pour ça ou c’était gratuit ?
Steven Herteleer : Non, j’ai dû payer.
Olivier Roland : Tu as payé combien ?
Steven Herteleer : 2 000 euros.
Olivier Roland : C’était une grosse partie de ton budget quand même.
Steven Herteleer : J’ai gagné de l’argent en cours de route.
Olivier Roland : Oui, grâce à L’Oréal. C’est ce qu’on disait tout à l’heure.
Steven Herteleer : Pour te le faire court, j’ai réussi à vendre à L’Oréal un reportage photo où j’allais chez des coiffeurs, je faisais 12 photos par mois. Au début, j’ai refusé. Ils m’ont dit « On voudrait bien que tu fasses des reportages chez les coiffeurs. » Je leur ai dit « c’est hors de question, je suis en tour du monde ». Après, j’ai tourné le truc dans l’autre sens, c’est un truc que j’aime bien faire en négo. Quand je refuse un job, je mets un prix qui me paraît délirant et puis s’ils disent oui, ils disent oui. Et je leur dis « Écoutez, ce sera 2 000 euros pour 12 photos par mois. » Dans ma tête, je me dis « 12 photos, c’est une heure de travail. » Et je leur dis « 10 lignes de légendes ». Donc, je veux dire, en 1h30, je suis OK pour 2 000 euros par mois. Le mec m’a dit OK. Et je fais « Attends, allez, 1h30 par mois, je peux peut-être le faire. »
Olivier Roland : C’est du 1 500 euros de l’heure, quelque chose comme ça. Ce n’est pas mal.
Steven Herteleer : Pas mal. C’était mon job le mieux payé de Ever à l’époque en tant que photographe. Je n’avais jamais gagné autant.
Olivier Roland : Si je comprends, ça fait sens pour L’Oréal parce que ce n’est pas très cher et tu es quand même en train de te balader partout dans le monde, tu auras des photos intéressantes. Ils peuvent aussi parler de ça pour faire de storytelling. Enfin, cela fait complètement sens.
Steven Herteleer : Oui. Et c’est comme ça que je leur ai vendu. C’est-à-dire que moi, perso, le job ne m’intéresse pas, mais bon. À quel prix il m’intéresse ? Je dis « 2 000 », s’ils disent oui, là, OK. Mais du coup, j’ai quand même vendu le job et c’est en effet ça que je leur ai dit. Je leur ai dit « Écoutez, ce sera 2 000 euros le reportage. C’est beaucoup moins cher que d’envoyer un reporteur dans tous les endroits. Vous êtes associés à un projet de ouf. En vrai, cela vaut beaucoup plus. » Aujourd’hui, je sais que cela vaut beaucoup plus.
Olivier Roland : D’ailleurs, tu aurais pu avec le recul peut-être demander à te faire sponsoriser pour ce voyage.
Steven Herteleer : Oui. Mais je ne voulais pas parce que ça aurait été une corde qui me rattache en France.
Olivier Roland : C’est vrai.
Steven Herteleer : Et c’est cela qui fait que j’ai beaucoup hésité sur cette partie-là. Et il s’avère que cela a été un des projets les plus intéressants de ce voyage parce qu’en 2 ans, il y a plein de choses : Tu écris, tu réfléchis, tu philosophies et tout. Et aller chez des coiffeurs différents pour trouver une histoire différente dans chaque pays, j’en ai fait 17 des salons, donc 34 000 euros. Ça rend le voyage un peu illimité. Et en fait, trouver un angle, tu arrives au Brésil, tu dis « attends, c’est quoi le coiffeur le plus ouf du Brésil ? ». Et là, je suis allé dans les Favelas pour faire un coiffeur qui prépare au Carnaval de Rio.
Olivier Roland : Génial, excellent. En plus, cela te crée des aventures. Là, tu as trouvé vraiment un truc où tu es gagnant sur plusieurs tableaux et qui participe à ton voyage plutôt que te desservir.
Steven Herteleer : Oui, exactement. Ça me finançait, ça me donnait un angle de plus. Ça me forçait à trouver des concepts. Je suis allé dans le salon de coiffure le plus haut du monde, à 5 700 mètres d’altitude à La Rinconada au Pérou, qui est une mine d’or.
Olivier Roland : Oui, c’est connu. D’ailleurs, les habitants ont des déficiences d’oxygène et tout ça.
Steven Herteleer : Oui. Puis, c’est extrêmement dangereux, il n’y a que des mecs. Il y a 99% de mecs, il n’y a pas d’hôpital, il n’y a pas de police. Les mecs, ils se tuent pour se voler leur solde et tout. Quand j’y étais, il y a un mec qui s’est fait buter. Enfin, c’est chaud de chez chaud. Puis, la coiffeuse que je suis allé voir, elle avait 14 ans, elle coupait les cheveux et elle vendait des chaussures. C’est rien qui va, mais c’est ça qui est trop drôle. C’était ça le reportage.
Donc, me voilà embarqué sur ce bateau. Du coup, 2 000 euros, je pouvais me le permettre. Et donc, la traversée du Pacifique. J’arrivais à Hong Kong, je retrouve mon pote, moitié route.
Olivier Roland : Ah ! Incroyable, c’est génial ça. Qui lui, avait fait sa vie. C’était combien de temps après votre départ là ?
Steven Herteleer : C’était un an et demi après. À peu près 1 an et 4 mois.
Olivier Roland : Incroyable. 18 mois après parce que pendant ce temps-là, vous correspondiez. Lui, il avait fait sa vie en…Il était toujours avec son Solex, c’est ça ?
Steven Herteleer : Oui. Il se l’est fait voler. Il voulait aller jusqu’en Turquie et il se l’est fait voler à la moitié du chemin. Un jour, il l’a laissé cadenassé et il est revenu, il n’était plus là.
Olivier Roland : Et il était passé par quoi ? L’Iran. On ne va pas faire son périple non plus parce que c’est déjà très… OK. Donc, Hong Kong et alors après ?
Steven Herteleer : Hong Kong, on passe 3 semaines de ouf chez les expats.
Olivier Roland : Puis, Hong Kong, c’est une ville incroyable en termes d’aventures. Moi, j’ai halluciné.
Steven Herteleer : Oui. Hong Kong est incroyable, et en fait, en voyage, j’aime bien essayer de trouver la vibe de la ville. Et je pense qu’Hong Kong, je n’aurais pas kiffé autant. C’était vraiment la ville parfaite pour retrouver mon pote, parce que dormir chez les habitants hospitaliers à Hong Kong, j’aurais fini en dehors de la ville et tout et je n’aurais pas vécu « le Hong Kong ». Et là, on est arrivé. Tu imagines les tas d’énergies quand tu retrouves ton pote qui a fait le même voyage que toi et ça, il a vraiment beaucoup de choses à te raconter. On était inarrêtable, deux grands malades. En fait, lui, il avait sympathisé avec des Français.
On arrivait à une soirée, c’était une soirée déguisée. On est arrivé, les mecs les plus déguisés. Il y avait des gens, ils avaient peur de nous. C’est-à-dire que moi, j’avais une grosse barbe, gros cheveux, avec des chaînes en or, habillé en racaille et tout. Les gens, ils disaient « Waouh ! C’est quoi ces tarés ? ». C’était plus que du déguisement. C’étaient des mecs en tour du monde.
Olivier Roland : Un peu fous.
Steven Herteleer : On fait peur à la moitié des gens et il y a l’autre moitié des gens qui sont en mode, genre « OK, on veut connecter avec ces gars-là ». Donc, on se fait super potes avec tous les Français et on a passé 3 semaines à rincer à droite à gauche dans des soirées, dans des trucs, et on a fait le grand, grand Hong Kong des expats qui est à mon avis une des 2-3 façons de bien kiffer la ville. Donc, on s’est trop, trop marré.
Après, on a repris notre route et j’ai accéléré le voyage. Il restait après Hong Kong peut-être 6 mois, je pense. Et j’ai accéléré parce que chaque pays que je découvrais était un peu de plus en plus fade parce que quoi que tu fasses même si c’est exceptionnel, et ça, c’est important aussi dans la vie, même si tu fais les trucs les plus exceptionnels au monde, tu finis par t’y habituer. Et ça commence à perdre un peu, je trouve, de sa saveur.
Je me rappelle, quand je suis arrivé au Cambodge, il y a le temple d’Angkor qui est un temple à la Indiana Jones enseveli et cela ne m’intéressait pas du tout d’aller le voir. Je me suis dit « j’ai la flemme d’aller voir le temple d’Angkor ». Je ne suis pas allé le voir. À la place, j’ai loué une moto et je suis allé dans une école et j’ai fait un cours. C’était un truc que j’avais toujours voulu faire un peu. C’était un peu tombé par hasard. Je tombais sur un prof, je suis allé faire cours, c’était trop drôle et c’est ça que j’ai vu au Cambodge.
Olivier Roland : Là, c’est intéressant parce que cela fait 10 ans que je voyage 6 mois par an, pas avec ce niveau d’intensité dans l’aventure mais quand même, et clairement, au bout d’un moment, les monuments, ça ne te fait plus grand-chose parce que moi, je me suis rendu compte, peut-être la même chose pour toi, on se rappelle beaucoup plus des rencontres et des expériences que des monuments. Avec quelques exceptions, le Taj Mahal clairement, moi, ça m’a mis une claque, mais c’est rare quand même que ce soit comme ça. Au bout d’un moment, c’est juste des vieilles pierres et tu en as vu plein, et tu sais que dans 5 ans, tu ne t’en rappelles même pas.
Steven Herteleer : Oui, exactement.
Olivier Roland : Tandis que voilà, enseigner dans une école, ça, c’est une expérience, c’est rigolo, c’est intéressant. Tu rencontres des gens intéressants et ça, ça va te marquer.
Steven Herteleer : Absolument. Et j’ajouterais même un truc, c’est que non seulement les monuments… En fait, il n’y a pas d’émotion dans les monuments. Il y a l’émotion du « waouh, c’est beau ». Et même le Taj Mahal, c’est exceptionnel, mais au bout de 10 minutes, tu t’habitues au Taj Mahal. Du coup, il manque une partie de richesse comparée à ce que tu peux vivre avec quelqu’un, si tu te fais des potes et que tu te marres comme un malade.
Olivier Roland : C’est vrai.
Steven Herteleer : Et il y a un deuxième truc avec les monuments qui est nouveau, c’est qu’avec l’apparition du téléphone, tu ne vis même plus le monument. Tu penses à ta story de ton monument. Donc, tu es encore plus en décalage avec l’émotion et tu es tout de suite mis en scène dans ce que les gens pourraient penser et tu es dans la recherche de plaire.
Déjà de base, un monument, c’est « Waouh ! Un truc de ouf. » Et au bout de 10 minutes, OK. Mais aujourd’hui, ce n’est même plus un truc de ouf, c’est genre, tu fais ta story arrivé au Taj Mahal pour que ta story, elle soit ouf. Et du coup, tu n’as même pas vécu l’arrivée au Taj Mahal, tu as juste vécu ta story en te demandant : est-ce que les gens vont plus m’aimer ? J’adore faire ça, déconstruire vraiment ça, les trucs comme ça, genre : Est-ce que les gens vont plus m’aimer parce qu’ils sont jaloux de ma story ? C’est un peu ça. On est là comme niveau de… donc, voilà.
Là, c’est un des moments où j’ai compris ça, 2013, et où j’ai décidé d’être beaucoup plus connecté aux gens, vivre des histoires. Donc, ça fait depuis là que je ne suis pas trop allé voir les endroits qu’il faut voir, mais que je vais plutôt essayer de faire des histoires, rencontrer des gens, avoir une histoire dans le pays et faire des trucs un peu rigolos avec des gens qui m’intéressent.
Olivier Roland : Oui, totalement. J’ai la même démarche que toi maintenant. Les monuments, ça ne m’intéresse pas trop. Après, les merveilles naturelles, c’est autre chose parce que c’est plus prenant, comme l’Islande que j’ai faite récemment. Ça, c’est quand même impressionnant.
Steven Herteleer : Je suis d’accord.
Olivier Roland : Tu t’émerveilles plus devant des beaux paysages naturels que des beaux monuments. C’est plus grandiose, je ne sais pas.
Steven Herteleer : Là pour le coup, je reprends ma casquette de photographe. Donc, en photo, je fais deux choses principalement, je suis influenceur voyage et photographe de pub. Il m’a fallu, pareil, 10 ans à mon avis pour comprendre ce que j’étais en train de faire en photo. Pareil, feeling, tu vois ? Le côté artiste, tu explores, tu sais que c’est par là, tu crées des choses et tout. Et à un moment, je me suis dit « mais attends, qu’est-ce que j’aime ? »
En fait, en vrai, j’ai même eu un plafond, c’était vers 2015 où j’avais la sensation de pouvoir photographier n’importe quoi, un packshot, donc un produit sur fond blanc, un évènement, un film d’entreprise, n’importe quoi, mais sans âme. C’était devenu que technique à 360 degrés. Mais si on me disait « Toi, tu veux shooter quoi ? », je n’avais pas de réponse. Genre, honnêtement, je m’en fous. Dis-moi ce qu’il faut, je te le fais. Et ça, il a fallu que je le débloque. Je n’y suis pas arrivé tout seul.
Ça, c’était après mon tour du monde. J’étais revenu, je m’étais lancé. Le job commençait à bien prendre, et j’avais un peu de budgets. Et j’ai réinvesti tout ce que j’avais en marge dans des formations. Donc, je suis allé rencontrer des photographes parmi les photographes de mes rêves dans le monde entier. Je suis allé en voir une dizaine.
Olivier Roland : Waouh ! Attends, on va peut-être finir le voyage avant que tu fasses ça. Donc là, tu décides de rentrer plus vite. Tu faisais quoi ? De l’autostop, du bus toujours ?
Steven Herteleer : J’ai fait du train jusqu’au Vietnam, bateau… La grosse dernière partie, c’est Malaisie – Italie en cargo, deuxième cargo.
Olivier Roland : Là, tu as vraiment sauté beaucoup de pays en faisant ça.
Steven Herteleer : Oui. Je me suis dit « tout le Moyen-Orient, je me le gardais pour le refaire quand j’aurais repris le goût du waouh. »
Olivier Roland : Je comprends. Tu avais quand même une forme de lassitude au bout d’un moment.
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Est-ce que tu étais impatient de te remettre dans la vie « normale » en France ? Tu voulais peut-être te lancer en entrepreneuriat, tu avais tellement d’idées que… je ne sais pas.
Steven Herteleer : Oui. En fait, j’étais épuisé quand même. Je faisais peut-être…
Olivier Roland : Tu voulais changer de slip ?
Steven Herteleer : Oui. À un moment donné, quand tout le monde te regarde, je voulais sentir l’odeur de la lessive.
Oui, j’étais épuisé, je devais faire probablement 10 kilos de moins que maintenant. Pas que j’étais malade, mais c’est que tu marches toute la journée, 8 heures par jour, tu manges une fois par jour. Je ne faisais pas petit déj, déj, diner. Tu bouffes une fois par jour quand tu es en déplacement, surtout sur le long terme. Et puis, je marchais énormément. J’avais fait des treks dans le Népal, des trucs comme ça.
Olivier Roland : Tu voulais passer, voilà. Tu voulais te reposer un peu.
Steven Herteleer : Oui. C’est un feeling, genre OK, c’est bon, j’ai compris le truc. J’ai compris ce que j’avais à comprendre. Ce tour du monde m’a apporté ce qu’il devait m’apporter. Je commence à revivre les mêmes choses. Je n’ai plus le « waouh » que je peux avoir. Il est temps de passer à l’étape suivante.
Je ne savais pas laquelle c’était, mais quand même une petite parenthèse. Je suis passé par l’Inde où il y a eu le Maha Kumbh Mela, qui est le plus grand rassemblement humain de l’histoire de l’humanité qu’il y ait eu. C’est-à-dire en gros, Shiva, si je ne me trompe pas, s’est fait voler le nectar d’immortalité et, dans sa course, il a perdu quatre gouttes qui ont fait quatre gouttes sacrées. Du coup, tous les 3 ans, il y a un rassemblement dans une de ces quatre villes où si tu vas te baigner, il peut t’arriver des trucs sympas dans l’échiquier géant de la purification de ton âme, puisque les hindous, c’est une espèce de jeu de loi géant. Tu es réincarné, ton âme va être testée. Et si tu améliores pendant ta vie ton âme, ta prochaine réincarnation, tu seras à un niveau au-dessus et puis si tu la dégrades, tu seras à un niveau en dessous. Mais tu peux tricher un peu. Par exemple, si tu te fais repérer par Shiva pendant un de ces rassemblements, tu peux tout de suite aller au Nirvana quand tu vas mourir et arrêter le cycle infernal des réincarnations.
Olivier Roland : D’accord.
Steven Herteleer : C’est un peu le délire. Cela fait que tous les 3 ans, c’est dans une des quatre villes et un cycle de 12 ans pour que cela revienne dans la même ville. Mais tous les 12 cycles, donc tous les 144 ans, il y a le Maha Kumbh Mela, le grand rassemblement et ça tombait en 2012, je crois, 2013, je ne sais plus. Cela tombait quand j’y étais. Et donc, 100 000 000 de personnes.
Olivier Roland : 100 000 000 ? Donc, il y a 10% de l’Inde, un peu moins qui vont là-bas.
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Mais comment ils font pour gérer autant de personnes ? Ce n’est pas possible.
Steven Herteleer : Ils ne gèrent pas.
Olivier Roland : C’est l’Inde. C’est à tout le monde, les uns sur les autres et…
Steven Herteleer : Ce sont les Champs-Élysées le jour du 14 Juillet sur 20 km pour arriver au fleuve, et sur peut-être 50 km. C’est indescriptible. Tu es en foule dense pendant des kilomètres et des kilomètres, et des heures et des heures. Tu as des gens, et c’est pire jusqu’à l’autre bout de l’Inde.
Les Sâdhu là-bas, donc les religieux qui sont presqu’au Nirvana, ce sont des supers célébrités, c’est genre Brad Pitt. Donc, tu as des mecs de ouf. Tu as la réincarnation du dieu singe, Hanuman, le Sâdhu Hanuman, il mange des bananes et du lait depuis 20 ans. Cela fait 20 ans qu’il ne bouffe que ça parce que c’est la réincarnation du singe.
On a un autre Sâdhu, ça fait 30 ans qu’il n’a pas baissé sa main. Donc sa main, elle est complètement atrophiée. Il a un moignon. C’est devenu un moignon avec le temps, il ne l’a pas baissé.
Tu en as une autre qui est très connue, une femme qui fait des câlins à tout le monde et qui te donne beaucoup d’énergie. J’ai oublié comment elle s’appelle, mais c’est une femme qui, tu la prends dans tes bras et apparemment, ça te fait pleurer tellement c’est intense. Elle a fait peut-être un million de câlins dans sa vie ou je ne sais plus.
Olivier Roland : C’est incroyable.
Steven Herteleer : Donc, tu as des supers stars là-bas. Tu as des mecs très connus aussi, ce sont les naga baba, ce sont les mecs qui sont à poils. Il y a les images assez connues, les mecs qui se recouvrent de cendres. C’est une tribu et ils gueulent, ce sont des guerriers. Ils vont tous gueuler en courant à poils en se jetant dans le fleuve. C’est vraiment spectaculaire.
Olivier Roland : L’Inde, c’est vraiment un voyage qui te…
Steven Herteleer : C’est bouleversant.
Olivier Roland : Oui, c’est bouleversant. Tellement que tu as l’impression d’être sur une autre planète.
Steven Herteleer : Oui, je suis d’accord. Tu as été un peu là-bas ?
Olivier Roland : Oui. J’ai fait l’Inde du Nord. Notamment, j’ai fait tout le classique New Delhi, Agra, Rishikesh, mais surtout Varanasi, où là où tu vois qu’ils brûlent leurs morts et tout, c’est très intense. J’ai fait le Golden Temple à Amritsar où tu vois le sacré des Sikhs.
Steven Herteleer : Le Temple des Sikhs.
Olivier Roland : Oui. Puis, tu te prends des baffes tout le temps tellement c’est un décalage de culture énorme. C’est incroyable. De tous les pays que j’ai fait, c’est celui qui m’a le plus décalé culturellement. Je ne sais pas pour toi.
Steven Herteleer : Je suis d’accord. C’était d’ailleurs mon premier voyage avant le tour du monde. C’est ça qui m’a fait « setup » en termes de voyages. Après, tous les autres étaient plus tranquilles.
Olivier Roland : Oui, c’est vrai. Pour moi, le deuxième après, c’est le Japon.
Steven Herteleer : Ah oui, je n’ai pas été au Japon.
Olivier Roland : Oui. C’est le deuxième décalage culturel. Mais eux, ils sont riches, donc ce n’est pas aussi violent. Il y a aussi la pauvreté en Inde qui te met une baffe.
Steven Herteleer : C’est ça. Ça te met une baffe et, en fait, tu as plusieurs directions possibles. Une direction, c’est de te construire un mur et ne plus le voir, de dire OK, c’est la misère de la vie, il y a des mecs qui meurent dans la rue, tu peux te bloquer par rapport à ça. Tu en as d’autres qui peuvent se retrouver bousillés par rapport à ça, tellement cela est violent. Tu en as d’autres qui vont prendre des psychédéliques et qui vont partir dans une autre version de la vie, de « OK, on est connecté au cosmos », des trucs comme ça. Steve Jobs, on en parlait juste avant, aurait pris des psychédéliques.
Olivier Roland : C’est sûr. Il le dit dans sa biographie.
Steven Herteleer : Voilà, du LSD. Les Beattles aussi à Rishikesh.
Tu sors du cadre, mais d’une violence. Si tu cherches un pays pour redéfinir tous les mots famille, morts, l’Inde, ce sont les mots aux antipodes. C’est comme si tu prenais le dictionnaire, tu secouais et les définitions changent. Tu fais genre « what ? » Même planète, mais il y a des concepts en Inde qui sont extrêmement difficiles à expliquer, c’est que par exemple, en Occident, nous, on est sur l’individualité. Donc quand tu veux prendre un train, tu as ton billet. Tu as 20 personnes qui ont leurs billets. Les 20 personnes rentrent, les 20 personnes s’assoient. En Inde, tu as 200 personnes. L’individu n’existe pas. C’est genre, la foule doit prendre le train. Et donc, c’est comme si tu étais écrasé par quelqu’un d’autre, il ne s’agit plus de toi. Il s’agit de la foule qui rentre. Il y a un concept de groupe.
Et je ne saurais même pas très bien l’expliquer mieux que ça. Mais cette logique où tu n’as pas de périmètre défini qui soit toi parce que l’âme, le Nirvana, c’est dieu, c’est dieu pour nous. Le Nirvana a été dispatché partout sur les humains et le processus de vie, c’est un processus de purification de cette âme. Donc, tu vis, tu as des épreuves. Si tu te comportes bien, tu laves cette âme et tu montes, tu montes, tu montes jusqu’au Nirvana. Quand tu es dans le groupe, tu es la même âme que tous les autres. Tu n’es pas une autre personne que les autres. Tu es de fait une personne, mais il y a vraiment de présent cette notion de Nirvana, de globalité. Du coup, il y a des choses que tu ne comprends pas. Tu ne comprends pas pourquoi les gens te poussent quand tu dois rentrer dans le train. Tu ne comprends pas pourquoi tout le monde est par terre.
Olivier Roland : Et pareil, il n’y a pas de file, ils s’agglutinent comme ça pour acheter les billets au guichet.
Steven Herteleer : C’est un magma.
Olivier Roland : Ça, c’est un magma. Oui.
Steven Herteleer : Du coup, cela te donne d’autres trucs incroyables à comprendre. Au début, tu peux ne jamais le capter quand tu vas en Inde, mais par exemple, ça donne un pays. Ce qui est génial, c’est quand tu changes tous ces concepts, tu changes les règles du jeu total de tout le système.
Nous, dans notre système, on a des lois napoléoniennes avec un code civil qu’il faut suivre et c’est ça le chemin qui est tracé. En Inde, le chemin qui est tracé, il est très différent, il est spirituel. Donc, ce processus de réincarnation sur la qualité de ta vie implique des choses extrêmement différentes.
Par exemple, l’Inde, il y a je ne sais plus, 1,2 ou 1,3 milliard de personnes, c’est un des plus gros pays au monde. 80% des gens sont pauvres. Quand j’étais à l’époque, les chiffres, c’était, je crois, 50% de la population qui vit avec moins de 1 euro par jour et 80% avec moins de 2 euros par jour. Ce n’est peut-être plus la même chose, mais c’est cet ordre de grandeur.
Donc, tu as un milliard de personnes qui sont ultra pauvres, mais il n’y a pas de guerre civile. Pourquoi ? Parce que cette logique du Nirvana et des réincarnations fait que si tu as une vie misérable aujourd’hui, c’est de ta faute, à cause de ta précédente vie. Donc, fatalité, fatalité à l’échelle d’un milliard de personnes. Par ailleurs, si tu te comportes bien, ta prochaine vie sera mieux.
En fait, ça te donne un milliard de personnes qui sont pauvres, qui l’acceptent et qui se défoncent pour essayer de faire le bien quand même autour d’eux, même s’il y a des vols, il y a des trucs, il y a de tout, bien sûr. Mais à observer, au début, tu ne comprends rien. Tu vois des gens mourir dans la rue et ça a l’air de te choquer. Les gens, ils sont OK. Les gens, ils marchent à côté, c’est normal, c’est la vie, c’est comme ça.
Olivier Roland : C’est un pays où on a l’impression que tout ce qu’on nous a dit qui est vrai, eux, ils ont l’impression que c’est faux. Et tout ce qu’on pense qui est faux, eux, ils pensent que c’est vrai. C’est dingue. Ça te retourne le cerveau. Et justement, ça t’ouvre énormément tes chakras et cela te fait considérer beaucoup de choses.
Steven Herteleer : C’est vrai. Dans l’autre sens aussi. Tu en parlais tout à l’heure, une fille blonde qui va en Inde, ils vont voir autre chose que nous. Une blonde, ce n’est pas la même chose. Pour nous, une blonde, c’est un humain comme n’importe lequel, il y a toute sorte d’humains. Pour une blonde, c’est autre chose. Non, mais c’est passionnant. Le voyage devrait être obligatoire, franchement.
Olivier Roland : Tout le monde devrait aller en Inde au moins une fois dans sa vie. Ne serait-ce que 15 jours, cela suffit déjà à pas mal voir de trucs. C’est un truc de fou.
Steven Herteleer : Puis, découvrir son système digestif aussi.
Olivier Roland : Oui. Alors ça, on ne va pas avoir le temps de rentrer là-dedans. Mais en gros, si vous restez 15 jours, c’est à peu près sûr que vous allez tomber malade. Ça vous fait comprendre une certaine chose, l’adaptation aux conditions locales. C’est le pays où probablement, il faut faire le plus gaffe, il vaut mieux éviter la Street Food. Alors qu’en Thaïlande par exemple, au contraire, cela fait plaisir. Mais en Inde, il ne vaut mieux pas.
Steven Herteleer : Oui, c’est clair. Sinon, tu découvres des facettes cachées de ton organisme. Et si tu as le malheur de manger non seulement un truc insalubre qui va te faire tomber très malade et en plus qui est pimenté, tu découvres aussi que tu as comme des papilles gustatives de l’autre côté du tube digestif et que tu peux revivre l’expérience de quand tu ne peux plus respirer, mais vraiment tu vas aux toilettes. Donc, il y a des expériences de ouf. À tester.
Olivier Roland : Il faut tester. L’Inde vraiment a le plus de paysans. Après l’Inde, tu vas en Malaisie. De là, tu prends un bateau pour l’Italie parce que là, tu dis vraiment…
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Puis déjà après l’Inde, c’est pareil, c’est tellement l’énorme décalage culturel. Tu l’avais déjà vécu, mais quand même tout va te paraître encore plus fade. Déjà, tu avais cette sensation fade un peu avant, mais là, l’Inde, c’est difficile de faire autre chose après.
Tu rentres en Italie, tu prends une bonne pizza et tu disais « je suis quasiment à la maison ».
Steven Herteleer : Oui. J’arrive en Italie. En effet, je mange de la…
Olivier Roland : Alors déjà dans le cargo, c’était même délire, tu as prévu à l’avance ?
Steven Herteleer : J’ai pris le même contact.
Olivier Roland : OK. Et tu as dit « Vas-y maintenant, il faut que j’aille en Italie. On fait quoi ? »
Steven Herteleer : C’était la CMA CGM, donc je les ai rappelés et je leur ai dit maintenant… Donc là, on l’a fait en quatre emails. Pour le coup, ça a été beaucoup plus rapide. Et grosse différence, cette fois-ci dans le cargo, j’avais…
Le premier cargo, ce que j’avais fait pour ne pas m’ennuyer, c’est que j’avais acheté une guitare et j’avais imprimé une centaine de partitions. Donc, j’ai appris une centaine de chansons avec la guitare pendant les 3 semaines.
Le deuxième cargo, celui-là, je me suis dit « OK, on va upgrader ». Et là, j’ai acheté une machine à tatouer et je me suis dit « je vais apprendre à tatouer des gens sur le cargo ». Il faut savoir que sur un cargo, il y a très peu de monde. Tu disais tout à l’heure « tu pourrais bosser sur le cargo », tu ne peux pas vraiment bosser sur un cargo parce qu’un cargo, j’adore les chiffres, un cargo, c’est 350 mètres. C’est énorme 350 mètres, 8 000 conteneurs.
Olivier Roland : C’est la Tour Eiffel, mais allongée.
Steven Herteleer : Oui. 8 000 conteneurs. Un conteneur, c’est un 35 tonnes. Donc, 8 000 comme ça propulsés à 50km/h. Ce sont des hélices de 12 mètres. C’est un truc monstrueux. D’ailleurs, petite question. À ton avis, combien de litres de gasoil un cargo brûle par jour ?
Olivier Roland : Des milliers, j’imagine.
Steven Herteleer : Des milliers, oui. Ça, c’est clair.
Olivier Roland : Alors là, combien ? Je n’en sais rien.
Steven Herteleer : 100 000 litres par jour.
Olivier Roland : Tu es sérieux ?
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : 100 000 ?
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Donc, ils ont des réserves gigantesque.
Steven Herteleer : En fait, sur une traversée de 40 jours, 4 millions de litres qui sont brûlés, 4 millions de litres qui sont stockés sur le bateau. C’est tellement énorme que tes conteneurs, tu les places. Ce sont des conteneurs de 35 tonnes.
Olivier Roland : Chaque conteneur fait 35 tonnes.
Steven Herteleer : Jusqu’à 35 tonnes.
Olivier Roland : Attends, on parle du conteneur qui fait un mètre de long, c’est ça ?
Steven Herteleer : 10 mètres, les camions de l’autoroute-là. C’est vraiment le format camion. Ça part direct sur un camion, qui arrive. Il y a des poids qui changent et tout. Mais tu as tous ces conteneurs et dans le bateau, tu as le premier officier, first officer. Un de ses tafs, c’est l’équilibre gauche-droite, avant-arrière du bateau et les trucs inflammables à l’avant, les premiers trucs qui vont sortir dans le prochain port au-dessus. Il gère l’incroyable défi de savoir qu’est-ce qui va où ? Pour que ce soit plus rapide à décharger.
Olivier Roland : C’est pour l’aider, j’imagine.
Steven Herteleer : Oui. Mais c’est sa responsabilité, et même s’il y a des logiciels, c’est un délire. Et puis, il y a des négociations dans les pays, des trucs interdits et tout, notamment, il va bouger le gasoil d’un côté à l’autre pour pouvoir équilibrer tout le bateau. Mais voilà.
Donc, cargo, délire absolu. Et en fait, les métiers, first officer, il fait l’équilibre du bateau notamment. Capitaine, il fait le trajet. En fait, ce n’est que des métiers d’élite. Ce sont des génies les mecs à bord. Et sur un cargo de 350 mètres, il y avait 18 personnes sur mon bateau pour le faire tourner. 18 gars.
Olivier Roland : Et tu es devenu pote avec tout le monde ?
Steven Herteleer : Oui. J’ai tatoué tout le monde.
Olivier Roland : Tu as tatoué tout le monde ?
Steven Herteleer : Bien sûr.
Olivier Roland : Mais attends, tu leur as dit « J’apprends les tatouages, qui veut être le cobaye ? » Il y a des gens qui ont dit oui ?
Steven Herteleer : Oui, parce que j’ai ajouté un mot, c’est gratuit. Et là, direct, le premier mec, c’est le gros bourrin de la salle des machines. Il fait « moi, moi ». En fait, je leur ai dit. Sur un bateau, sur un cargo, en général, le capitaine, est d’un pays européen riche, donc Allemagne, France. Ensuite, les assistants, sont d’un pays d’Europe moins cher, Tchécoslovaquie… Là, on parle de 3-4 personnes au total. Le bateau peut avoir un pavillon si au moins 3 personnes du management sont d’un pays. Donc, tu vas avoir un capitaine allemand et deux allemands, et comme ça, il y a un pavillon allemand.
Alors, je ne sais même plus à quoi ça sert un pavillon allemand. Mais il y a des lois comme ça qui font que le top management est d’un pays européen, et tout le reste, ce sont des Philippins. Il y a une grosse culture qui fait que les mecs, ils sont Philippins sur les bateaux, donc tu as…
Olivier Roland : Déjà, ils parlent très bien anglais les Philippins. Ce sont les seuls asiatiques à bien parler anglais. Puis, c’est un peu d’île, donc j’imagine.
Steven Herteleer : Exactement. Et il y a un troisième truc, c’est qu’ils sont chrétiens. Du coup, c’est une culture qui est bien comprise par les capitaines de bateau. Parce que si c’est musulman, ce n’est pas la même culture, et donc ce n’est pas les mêmes codes, ça ne marche pas pareil. Là au moins, il y a un socle commun qui fait qu’historiquement, en tout cas, c’est comme ça que ça s’est fait.
Et ils ont aussi une philosophie, les Philippins, qui est très particulière, c’est que l’élite doit être dévouée pour sa famille. Cela fait que les mecs les plus intelligents vont aller sur des cargos pour gagner 3 000 euros par mois, ce qui est énorme, et ils vont finalement être dans une prison dorée toute leur vie parce que tu as des shifts de 2 mois, 4 mois, 6 mois.
Il y avait des vieux qui étaient sur les anciens contrats, des mecs de 60 ans qui me disaient « Moi, mon shift, il fait 2 ans ». C’est-à-dire que le gars, il reste pendant 2 ans sur le cargo et ensuite, il peut repartir 3 mois chez lui. Il refait 2 ans et il fait 3 mois chez lui. C’est-à-dire que le mec en 40 ans de carrière, il a fait 20 shifts. Tac, il a fait 20 fois le truc et c’est sa vie. Il allait 20 fois sur le bateau, fin de sa vie.
Olivier Roland : Mais il n’a pas de femme, il n’a pas de… ?
Steven Herteleer : Si. Mais il envoie de l’argent à toute la famille.
Olivier Roland : D’accord. Et ils ont des femmes dans chaque port ?
Steven Herteleer : Alors non, parce qu’un truc encore plus relou, c’est qu’ils ont un passeport Philippins. Et les Philippins, tu ne descends pas aux US, tu ne descends pas au Japon.
Olivier Roland : Oui. C’est un des passeports les plus pourris du monde.
Steven Herteleer : Tout à fait.
Donc les mecs, ils descendent en Chine et tout. On a fait un stop quand on revenait de San Francisco. Là, premier stop, on s’est arrêté en Chine, on allait boire des coups. C’était trop drôle dans un port chinois. Ça, c’était trop drôle. Mais il y a plein de fois où moi, j’ai pu descendre pour aller pendant un jour explorer, et eux, ils ne descendaient pas. À Taipei, à Taïwan, là, j’ai pu descendre et eux, ils ne pouvaient pas descendre.
Les Philippins à bord, ils sont très peu, et je ne sais plus pourquoi je disais tout ça.
Olivier Roland : Tu racontais un peu la répartition des nationalités dans l’équipage. Et pourquoi ? Donc, oui. Tu as commencé à leur proposer des tatouages gratuits ?
Steven Herteleer : Oui, c’est ça. La logique de ça, c’est qu’en gros, les mecs, je leur dis « Qui est chaud pour un tatouage gratuit ? Ça se passe dans ma cabine. ». Et là, il y en a 2-3, les gros bourrins de la salle des machines, genre « Moi, je suis chaud » et tout. Et j’avais un petit carnet où j’avais fait des dessins parce que j’avais fait 10 ans de dessins de mes 10 à 20 ans. Donc, j’avais plein de dessins. En gros, je peux vous faire ça. Et les mecs passaient dans ma cabine et ils choisissaient leurs dessins et je leur faisais. Mais je n’avais jamais tatoué. Puis, je ne savais pas à quel point c’était dur de tatouer.
Le premier mec arrive, je me rappelle, trop marrant, le plus bourrin, un muscle, franchement, la taille de deux fois tes jambes, genre comme ça. Et le gars dit « oui ». Il regarde tous les trucs et il choisit la lionne, sauf qu’une lionne, on dirait un chat. « T’es sûr, ça ne passe pas super viril ». « Oui, je veux la lionne », donc une tête de chat comme ça, je dis « OK, si tu veux, c’est ton tatouage ». J’ai fait le truc, je commence à avancer sur le tatouage, genre « ce n’est pas ouf, ça fait vraiment un chat ». Et là, je commence à mettre des espèces de griffures, comme ça, mais du coup, ça faisait des traits un peu raturés. Et plus ça avançait, et plus c’était pire. Et là, je commence à me dire « c’est un carnage ce que je suis en train de faire, ça ne va pas du tout et tout. »
Et le gars, je lui montrais. Je dis « oui, voilà », il a dit « waouh, c’est cool, c’est cool. » Je fais OK, OK. Je finis le tatouage. Moi, j’avais une honte, je me suis dit « J’arrête le tatouage, je viens de gâcher une vie. C’est honteux ce que je viens de faire, j’étais trop mal. » Et le mec me dit « Waouh, c’est trop bien et tout, j’ai le tatouage du mec qui fait le voyage. J’ai son premier tatouage ». En fait, pour lui, c’était ça la valeur des trucs. Il s’en foutait du chat, il avait le tatouage, le premier tatouage.
Olivier Roland : C’est dingue. C’est que vraiment tu arrives à embarquer les gens dans ta légende. Tu crées une légende autour de ton projet et les gens s’embarquent là-dedans. Ça met du sel dans leur vie quotidienne.
Steven Herteleer : Et dans l’autre sens, je pense que je serais capable de me faire un tatouage de ce mec-là. Genre, un mec se pointe ici, il a une histoire de malade et il se lance sur le tatouage, mais direct « j’en veux un, je veux ton premier tatouage », avec du recul. Mais sur le coup, moi, j’étais juste sur la technicité. Moi qui ai fait du dessin, je me dis « Oh, la, la, le pire dessin de ma vie, il faut que ce soit mon premier tatouage », genre honte absolue. Et après, du coup, je me suis amélioré. Au bout de 18 tatouages, je suis devenu plutôt bon, on va dire.
Olivier Roland : Et tout le monde était content de son tatouage ou… ?
Steven Herteleer : Oui. Ils ne me l’ont pas dit en tout cas. Il n’y a personne qui me l’ait dit ; moi, je n’étais pas content de tous les tatouages. Il y en a certains où j’étais « Waouh, OK. Là, il est technique, je suis content. » Surtout par exemple, à un moment, je fais un tatouage à un mec et il y a un autre gars qui dit « je veux le même ». Et là, tu dis « ça va se voir si je ne sais pas tatouer que ce n’est pas le même ». À un moment, tu sais, on compare les deux. Et j’ai réussi à faire le même. C’était une planète avec une ancre, un bateau et un truc. Le mec veut le même, tu vois, genre « non les gars, sérieux. »
Olivier Roland : Et tu t’es fait des tatouages sur toi ou pas ?
Steven Herteleer : Ça ne va pas ou quoi. Non, je ne suis pas assez bon.
Olivier Roland : OK. Des bons tatoueurs peuvent se tatouer eux-mêmes, oui ?
Steven Herteleer : Oui, c’est un classique.
Olivier Roland : Après, j’imagine que c’est juste sur l’autre bras parce que tu ne peux pas avoir accès à tout facilement.
Steven Herteleer : Tu as des légendes. Tu as des mecs qui se sont tatoués le visage, des mecs qui se sont tatoués avec la mauvaise main, des mecs qui se tatouent là. Il y a la course au mec le plus fort.
Olivier Roland : À l’exploit, oui.
Steven Herteleer : Oui, à l’exploit, exactement. Mais non, je n’ai fait que des tatoueurs que j’admire et que je suis allé rencontrer un peu. J’en ai profité pendant mes voyages. Quand je voyais qu’il y avait quelqu’un, j’ai fait un tatouage. Mais oui.
Olivier Roland : Donc là, vu qu’on est à peu près, je pense, 2h20-2h30 d’interview, je ne pense pas devoir la faire en deux fois, mais on va devoir accélérer un peu.
Tu rentres en Italie, et là, quelle est la suite ? Comment tu te lances dans ton projet d’entrepreneur ? Parce qu’aujourd’hui, tu es un photographe à succès parmi les autres choses que tu fais. Quelle est la liaison entre ce retour en Italie et puis là où tu en es aujourd’hui ?
Steven Herteleer : Alors, j’arrive en Italie. Il y a eu un petit truc quand même qui m’est arrivé. J’arrive en Italie, déjà ce qui est rigolo, c’est que je n’avais pas du tout calculé et je me rends compte en Italie que j’étais à la veille des 2 ans d’anniversaire de mon tour du monde, et là, je fais « waouh ». Et donc le lendemain, je…
Olivier Roland : Ah oui ? Mais c’est dingue. Tu as mis quasiment 2 ans.
Steven Herteleer : 2 ans moins un jour.
Olivier Roland : Pour rentrer en Italie mais pas en France, mais en tout cas, en Europe.
Steven Herteleer : C’est ça. Du coup, j’ai sauté dans un TGV le lendemain pour que ça fasse 2 ans. Et j’arrive à Montmartre. En fait, comme sur mon premier retour de l’Inde, comme ça m’arrivait quelquefois en voyage, énorme dissonance. Et là, je me suis rendu compte d’un truc, c’est que quand tu pars dans un très gros voyage, tu peux revenir physiquement au même endroit, mais tu ne reviens jamais dans ton ancienne vie. C’est comme si tu voyageais dans le temps et que tu reviens sur ta planète, mais tout le monde a changé. C’est toi qui as changé. Bien sûr, le monde, il est pareil, mais tu ne peux jamais revenir d’un tel voyage. C’est impossible.
Et ça, je l’ai pris comme une énorme claque en pleine tronche, je ne le savais pas. Donc, j’ai perdu tous mes amis, on ne se reconnaissait plus. Ce n’est pas que je les ai perdus, mais c’est que quand j’étais avec eux, on n’avait plus rien à se dire, plus rien en commun. Je n’ai pas reconnu Paris.
Olivier Roland : En fait, tu es comme Luke Skywalker qui revient dans sa ferme à Tatooine, qui raconte à ses potes, ce n’est plus possible.
Steven Herteleer : Exactement. Très bonne référence d’ailleurs. Oui, c’est ça.
Olivier Roland : Tu as fait le voyage du héros. Tu es passé de fermier à héros de la galaxie.
Steven Herteleer : Il y a beaucoup de similitudes. Il y a vraiment ça. En fait, tu arrives et… L’énorme truc qui m’est arrivé, c’est que je me suis rendu compte à quel point on était ingrat dans notre société. En France, le discours, c’est la crise. Tout se casse la gueule. Le système de santé est de pire en pire. L’éducation, il n’y a rien qui va. Le gouvernement, tous pourris, les rues sont dégueulasses. C’est ça qu’on entend. Mais quand tu as passé 2 ans à dormir chez les gens. Les gens qui t’invitent, ce ne sont pas les millionnaires, ce sont les gens les plus pauvres. Donc, je me suis retrouvé à dormir… ce sont les plus généreux. Ils te donnent tout, ils n’ont rien.
Et je me suis retrouvé à dormir au Népal sur une pierre dans la chambre d’un mec qui vendait des tapis, la fenêtre était pétée et elle était contre un lampadaire et donc il y avait des centaines de moustiques. Je dormais là sur une pierre comme ça, et le mec, il a dormi avec son oncle sur l’autre pierre. C’était un lit avec juste une pierre, ils en avaient un chacun, et là, ils ont dormi dans le même ensemble pour me donner leurs trucs à côté et ils avaient un peu honte de me le prêter. Et moi, je dis « les gars, merci puisque sinon, je dors dehors et au moins, je suis en sécurité et tout. »
Et ce n’était que ça. Pendant 2 ans, il m’arrivait des tonnes de trucs comme ça. Et là, tu arrives en France et tu vois le discours ambiant, tu entends dans le métro, tu entends les gens, tu vois le truc et ça m’a refait le truc avec ma stagiaire, le boooo, comme ça.
Je me rappelle de cette scène, c’était à Montmartre, c’était tôt le matin et je suis allé là où j’habitais avant, donc je suis allé revoir le Sacré Cœur et tout. Et je vois les trucs qui nettoient la rue là, les espèces de camions avec deux brosses, comme ça. Je vois ce camion avec 4 gars dedans, un camion qui fait 2 mètres de long, un tout petit camion, 4 gars dessus, un mec qui faisait le balai, un autre gars qui conduisait, un autre mec qui vérifiait si on pouvait tourner, le truc qui crachait des centaines de litres d’eau pour ramasser des petites feuilles.
Et là, je me suis dit « mais non, on n’est pas du tout en crise ». On a tellement de tunes qu’on est capable de mettre 4 mecs sur un camion, cracher des centaines de litres d’eau pour aller ramasser des petites feuilles pour que ce soit joli. Et là, je me suis dit « en fait, on a pété un plomb ». On a un système d’éducation de malade comparé à tout ce que j’ai pu voir dans le monde. On a des hôpitaux de malade. On a des grandes chances d’en sortir vivant dans l’hôpital, ce qui n’est pas du tout le cas du monde entier. Tu bois de l’eau du robinet, elle est bien l’eau du robinet. Tu es en sécurité. Alors oui, c’est un peu dangereux, mais tu es quand même en sécurité.
En fait, quand tu regardes tout le truc, on ne se rend pas compte en France qu’on est dans le 1% des gens les plus privilégiés. C’est un truc de malade. Et pareil dans l’histoire, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de guerre en ce moment.
Olivier Roland : Par rapport à nos ancêtres, on est dans un confort incroyable, dans une abondance.
Steven Herteleer : C’est un truc de ouf. Oui, dans une abondance, mais absolument.
Olivier Roland : Il suffit de rentrer dans un supermarché pour avoir plus d’abondance que tout ce que les grands-parents de nos grands-parents avaient vécu dans toute leur vie. C’est impressionnant.
Steven Herteleer : Et nous sommes tellement en abondance et tellement privilégiés que nous sommes devenus ingrats, un peu le syndrome de la personne née dans une famille parfaite et riche, et qui s’ennuie et qui déteste tout et qui est dépressive. On voit souvent des fils de célébrités américaines qui sont dépressifs et drogués, et tu dis « mais quel est le problème ? ». En fait, le problème, il est évident, c’est que tu n’as pas de cadre, tu n’as rien qui peut te rendre heureux parce que tu as tout, donc tu n’es pas challengé. Et en fait, tu t’ennuies et tu deviens capricieux parce qu’il n’y a rien qui peut te satisfaire.
C’est de l’épicurisme de base. C’est que plus tu vas satisfaire tes besoins, plus tu vas vouloir te contenter des besoins supérieurs. La seule manière de vraiment être heureux, c’est de ne plus rien avoir, ne plus rien désirer pour te satisfaire de rien. Et c’est ça que j’ai fait pendant mon tour du monde sans le savoir. J’ai fait franchement un parcours à la Jésus-Christ ou à la Épicure.
Olivier Roland : Alors, j’aimerais challenger un peu ça parce que je suis assez d’accord sur la philosophie. Je suis aussi très influencé par ça, tout ce qui est bouddhiste, tout ça où ils disent qu’effectivement, la source de la souffrance humaine, c’est de toujours vouloir plus. Mais j’ai aussi en même temps conscience que si on suivait ça à la lettre, il n’y aurait pas de civilisation parce qu’on serait encore dans les cavernes à se contenter de ce qu’on a. Tu vois ce que je veux dire ?
Et pour moi, ce sont des cycles. Il y a des moments où dans ta vie, tu vas te contenter de ce que tu as, et d’autres, tu vas bâtir, tu vas avoir un rêve. Pareil, tu aurais pu te contenter de ton boulot pourri, tu n’étais pas content à L’Oréal, et à un moment, tu as eu ce rêve de vouloir faire ce tour du monde et ça t’a apporté beaucoup.
Et même quand tu faisais ce tour du monde, certes, tu te contentais de ce que tu avais, mais en même temps, tu voulais toujours aller dans un nouveau pays. Tu vois ce que je veux dire ? Il y avait quand même cette chose que tu n’avais pas et que tu voulais aller explorer. Je trouve ça intéressant parce que oui, c’est important de savoir apprécier ce qu’on a, mais aussi des fois, c’est bien de désirer autre chose et de ne pas te contenter de choses frustrantes. Et l’appel de l’aventure, c’est aussi un bel appel à écouter.
Steven Herteleer : Oui. Je suis d’accord. Et je ne dirais pas qu’il faut se démunir de tout et se contenter de rien, mais je pense que c’est un ascète à développer d’être capable d’être minimaliste, d’être capable de juste pratiquer de la gratitude au niveau le plus simple, juste de « waouh, je vois », « juste je vois, il y a des gens qui ne voient pas », « je suis en bonne santé », juste ça. Il y a des chansons qui le disent, il y a des philos. Tu as gagné ta vie à la naissance en fait. Le job est fait, tu as gagné ta fucking life, c’est un truc de malade. Le reste, c’est du bonus.
Mais être pas content parce que tu n’as pas eu l’aide à laquelle tu aurais pu avoir droit, ou tu es dégoûté parce que tu n’as pas eu la place de concert de je ne sais pas quoi, ou tu t’es fait volé un truc, oui, je suis d’accord, c’est frustrant, surtout quand tu as le nez dans le guidon et que tu as du mal à prendre le recul.
Olivier Roland : C’est une question de quel est ton point de comparaison finalement. Ça, c’est un des gros avantages du voyage, c’est que quand tu vas dans des pays pauvres, ça te donne des points de comparaison qui font que tu apprécies plus ce que tu as. C’est aussi, je ne sais pas si tu connais un peu la philosophie Stoïcienne, mais un des exercices qu’ils donnent pour mieux apprécier la vie, et je trouve que ça marche bien, que ça met vraiment du sel dans ton quotidien, c’est de comparer ta situation à une situation imaginée pire. Et tu peux y aller à fond, tu peux dire « OK. Ça, c’est ma vie aujourd’hui. Qu’est-ce qui se serait passé si ça faisait 20 ans que j’étais en prison ? ». Et là, tout de suite, tu apprécies plus les choses et tu n’es pas obligé d’aller aussi loin.
Là, aujourd’hui, j’ai un business qui marche. Il y a un moment, c’était dur. Dans quelle situation je serais si j’avais échoué à ce moment-là ? Et tout de suite, tu profites plus de ce que tu as. Et c’est ça, il faut des points de comparaison qui sont bien pires que ce que tu as pour que tu te rendes compte de la chance que tu as.
Mais en même temps, il ne faut pas trop abuser de ça parce que si tu es dans un métier qui te frustre et tu peux faire ça en disant « Bon, mon arrière-grand-père, il était à la ferme et il a été agriculteur toute sa vie, et c’était son métier. Du coup, moi, je vais me contenter de ce que j’ai». Donc, il faut aussi savoir utiliser cette frustration et cette souffrance comme fioul pour aller aussi au-delà. Je trouve que les bouddhistes ont raison en partie, mais il ne faut pas aller trop dans l’extrême sur Paris. Parce que c’est ça, comment tu réunis le bouddhisme et le développement personnel ? Parce que le développement personnel, c’est toujours s’améliorer. C’est aussi ça. On n’est jamais content de ce qu’on a.
Et j’aime beaucoup, il y a ce gars dans le développement personnel, qui s’appelle Earl Nightingale, un américain qui dit qu’en fait, finalement, le bonheur, il n’est pas dans l’arrivée, dans la destination, il est dans le voyage. Et donc, tu as cette idée que tu vas apprécier simplement le fait de t’améliorer et quand tu arrives souvent à la destination, c’est un peu décevant parce que tu t’habitues très vite. Mais ce n’est pas grave, c’est le voyage qui compte.
Ce n’est pas facile de trouver l’équilibre, mais je pense que c’est bien dans des cycles. Tu as des cycles où tu vas être frustré de ce que tu vois et tu vas vraiment bouger pour atteindre la prochaine destination. La prochaine destination, tu vas en profiter pendant un certain temps et tu vas être en mode « je profite de ce que j’ai ». Puis, au bout d’un moment, tu vas te lasser et tu vas dans un nouveau voyage. Qu’est-ce que t’en penses ?
Steven Herteleer : Je suis d’accord avec ça. Il y a un truc que j’aime bien pour compléter cette phrase qui est qu’en effet, le bonheur, il n’est pas dans la destination, il est dans le voyage. Il est même dans la compagnie.
Olivier Roland : Dans la compagnie, avec qui tu fais ça. Oui, c’est vrai.
Steven Herteleer : C’est ultra important. Ça, c’est un truc que j’ai découvert récemment. Alors, il y a plein de trucs qu’on entend depuis qu’on est gamin, mais il y a des moments où ça t’accroche vraiment et où tu le comprends vraiment. Et c’est récemment que j’ai compris, que c’est ta responsabilité de t’entourer des bonnes personnes.
Toutes ces phrases de « On est la moyenne des 5 personnes avec lesquelles on passe le plus de temps », ou ces phrases de « N’écoute pas les conseils de quelqu’un qui n’est pas arrivé là où tu veux. Écoute plutôt les conseils de quelqu’un qui est déjà là où tu veux ». Toute cette logique de avec qui tu fais le voyage, et ces logiques aussi de « Au jour le jour, il faut que tu te sentes bien. » Et te sentir bien, c’est aussi par ta copine, tes amis, les personnes qui bossent pour toi, les personnes pour lesquelles tu bosses, les personnes avec lesquelles tu vis et que tu côtoies, le pays dans lequel tu vis, la ville, le village, tous ces gens-là.
Pour moi, c’est même quasiment plus important que le voyage encore, parce que voyager seul, moi, j’ai adoré voyager seul pendant mon tour du monde, pour les rencontres que j’ai faites et pour les co-compagnons, enfin, pour les compagnons que j’ai pu trouver en route. Le voyage a permis de faire ces rencontres. Donc, je mettrais même les rencontres encore plus que la destination et que le voyage en lui-même. Et oui, ce serait surtout le truc principal.
Olivier Roland : C’est intéressant. OK, tu reviens en France. Ce décalage, c’est normal. Cette grosse baffe, Luke Skywalker qui retourne à sa ferme à Tatooine après avoir tué l’empereur. Qu’est-ce que tu dis à ce moment-là ?
Steven Herteleer : Là, c’est comme Star Wars, tu dis « la trilogie est finie » En fait, il y a une autre trilogie et ça repart encore sur des aventures. Et là, je te le fais en très bref, mais je n’ai pas du tout réussi à revenir en France. J’ai trop pris une grosse claque.
Alors là, je les terrorisais très vite. Je me suis dit « je ne vais pas réussir à revenir en France, ça ne va pas être possible ». Je ne peux pas après ce voyage, avec un tel décalage, recommencer à taffer. Heureusement, j’ai trouvé ça, je me suis dit « OK, il faut que j’arrive à me réhabituer à la civilisation, à l’occidentalisation parce que je ne veux pas finir baba cool en Inde ou à ouvrir une ferme en Patagonie » Il y a des gens, c’est leur rêve. D’ailleurs, il y a plein de gens qui disent « je veux ouvrir une ferme dans le Larzac » Moi, ce n’était pas ça, je le savais.
Par contre, j’étais plutôt dans cette direction-là. Je me suis dit « Non. Paris, c’est mort. Travailler pour des entreprises, c’est mort ». Je me suis dit « comment je me réhabitue ? ». Et je me suis dit « OK, on va mélanger les deux. Je vais relancer fortement une activité de photographe en tour du monde. » Donc, je suis parti à New York.
Olivier Roland : Pourtant, tu disais que tu t’étais lassé un peu des voyages.
Steven Herteleer : Oui. Du voyage sans bagage, à dormir chez les gens sans avion et tous les trucs.
Olivier Roland : Ah, d’accord.
Steven Herteleer : Et là, je me suis dit « on change de style » parce que pendant le tour du monde, j’ai gagné des sous, mais je n’ai pas du tout dépensé tous ces sous. Il me restait plus de sous en revenant du tour du monde qu’en partant.
Donc là, je me suis dit « j’ai du budget » parce que mini parenthèse, je pense que c’est important de le préciser, j’ai choisi de faire le tour du monde avec de l’argent parce que pas mal de gens m’ont dit « tu aurais pu le faire sans argent » et moi, ma philosophie sur ce sujet, c’est que c’est impossible de faire le tour du monde sans argent. C’est juste que tu vas utiliser l’argent de tes hôtes et des gens qui vont te donner leur argent. Et je ne voulais pas être un taxeur professionnel.
Alors, je respecte tout à fait les gens qui voyagent sans argent, c’est un défi, c’est un truc, mais ce n’était pas ma philosophie. Du coup, ça faisait que le sujet principal de mon voyage serait devenu trouver de l’argent au jour le jour, ce qui ne m’intéressait pas. Je voulais connecter avec les gens, dormir chez eux, taper la discute, voyager avec eux, mais pas leur prendre leurs ressources. Surtout que 2 euros pour quelqu’un de là-bas, ce n’est pas 2 euros pour moi, donc je me suis dit « il me faut des sous ». Néanmoins, j’en ai dépensé très peu.
Donc, je suis revenu avec plein de sous, et là, je me suis dit « OK, je pars à New York ». J’ai fait 6 semaines à New York. J’ai fait un reportage. Je suis parti avec mon pote Greg du tour du monde, on est parti 3 mois à Berlin. On s’est dit « Viens, on va lancer un album de musique électro », on devient DJ, enfin producteur. On fait le truc. On créait des supers trucs, mais ce n’est pas notre univers. On était bon, mais on va dire, on était au-dessus de la moyenne, pas de quoi faire une carrière. En tout cas, pas en 3 mois.
Le truc ne prend pas. Voilà. Donc, il se passe un an comme ça, mais au moins, on va dans des grosses villes, on reconnecte avec les gens. On reste des voyageurs, mais on redevient civilisé. Et suite à ça, là, je me lance fortement en photo et je pars sur la course de me dire « OK, j’ai fait mon voyage initiatique, j’ai découvert le monde, j’ai pu me tester dans les cultures. Maintenant, ce que je veux, c’est me donner les possibilités d’ouvrir n’importe quelle porte. ». Donc, je me suis dit « mon truc, c’est la photo, donc je vais aller le plus haut possible en photo et je vais essayer que ce soit rentable, sans pour autant dédier ma vie entière à produire de l’argent ». Je me suis dit « Quel est le ratio d’être dédié pour que ça fonctionne et que ce soit rentable, mais en même temps libérer du temps pour pouvoir continuer à faire mes trucs ? »
Et là, il y a eu une autre rencontre, de plein de choses qui se sont cristallisées ensemble, c’est le moment où Instagram a commencé à prendre et j’ai rencontré un gars qui était blogueur. Je ne savais pas trop ce que c’était un blogueur à l’époque. Enfin, si, puisque j’avais fait des photos pour le blog de L’Oréal, mais je ne savais pas qu’on pouvait en vivre. D’ailleurs, si ça se trouve, c’est un de tes élèves, je n’en sais rien. Est-ce que ça te parle Ryan le sac à dos ?
Olivier Roland : Ça ne me dit rien.
Steven Herteleer : OK. C’était un des plus gros blogueurs voyage à l’époque, et à Berlin, j’étais tombé sur lui, énorme hasard. Pendant qu’on était en train de faire l’album électro avec mon pote, je vois un gars au bout de la pièce dans une boîte de nuit, 4h du mat, et le mec avait la gueule de Neo dans matrix, vraiment la même gueule. Je fais « putain, c’est Neo ». Je vais lui parler. Je vais voir le gars, je commençais à lui parler en allemand. Et le gars m’a dit, il me parle en français, il me dit « Mais toi, tu es français vu ton accent. » J’ai dit « Ah, tu es français ? » Il me dit « oui ». On sympathise et j’ai dit « Mec, on est en train de tourner un clip pour un des sons qu’on vient de produire avec mon pote, je te veux comme acteur de mon clip ». On devient pote sur ça. On passe plein de soirées ensemble jusqu’à ce que je découvre qu’il est blogueur voyage, que moi, j’ai fait ce tour du monde. On sympathise.
Un an après, j’avais commencé à relancer l’activité de photo. Je faisais un peu de sous, ça marchait tranquille. Et là, me voilà en France, 2015, et je me dis OK. Ma vision, c’est qu’il me faut un studio parce que c’est ça qui me bloque. J’étais tout seul en tant que photographe, je bossais depuis mon Mac, depuis mon canapé, avec mon appareil photo et je me suis dit « Je suis limité par l’espace, par ce que je peux faire moi tout seul, porter de mes propres épaules, donc il me faut une équipe. » Je me disais « j’ai de quoi donner du travail à 10 personnes sans problème. ».
Donc, je me disais « OK. Ces personnes-là, je vais… ». Enfin, il y avait une logique, plutôt que de louer un lieu, plutôt que de faire tout seul, si j’arrive à tout construire d’un coup et à avoir le lieu qui soit très grand pour y mettre des jobs, pour y mettre des gens, le lieu se paie tout seul, moi, ça me permet de passer un amortissement aussi. Donc, ce lieu, il peut se déduire de ce que je gagne pour que je paie moins d’impôts, parce que la logique entrepreneuriale en France, ce qui est favorisé, c’est de dire aux entreprises « Si vous gardez les sous pour vous, on vous prend plein d’impôts. Mais si vous réutilisez ces sous pour les investir, on vous aide », puisqu’en fait, tu peux déduire ce que tu as investi de tes impôts.
C’est un peu favoriser l’investissement, l’emploi… Je prends cette règle du jeu. Logique d’avoir fait la finance avant, je me dis OK. La règle du jeu en France, c’est que tout ce que tu investis, c’est déduit de tes impôts, donc je vais investir, je vais prendre un lieu. C’est l’investissement numéro un pour moi. Et vu mon CV, je me suis dit « Je ne vais jamais trouver une banque qui va me financer, c’est mort. Je reviens tout juste du tour du monde, les mecs, ça fait un an que je bosse, ça prend justement. »
Olivier Roland : C’est quoi votre spécialité dans la vie ? Je suis tatoueur dans des cargos.
Steven Herteleer : Oui, c’est ça. Vous avez deux minutes ? Je peux vous expliquer. Et du coup, je me dis non, il me faut un business Angel et je n’aimais pas la logique de devoir rembourser à un banquier.
J’avais dormi chez un milliardaire pendant mon tour du monde à San Diego, qui était un ancien employé de mon père. Mon père était dans les disques durs, il avait un gros poste. Je pitche ce gars-là, je dis « Voilà, c’est un peu ça le truc. Combien il me faudrait ? » Il me faudrait un million d’euros, j’ai trouvé le lieu. Le lieu, il valait 600 000 euros, il y avait 400 000 euros de travaux, plus un peu de marge. Donc, je dis « Il me faut un million d’euros, voilà le projet. » On discute pendant des semaines et des semaines. On arrive vachement loin dans ce truc-là.
Et par ailleurs, j’avais envie de voyager un peu et j’avais cette idée d’aller en Iran en van. Il me dit « OK, ce ne serait pas mal d’aller en van en Iran ». Et là, énorme hasard, on s’appelle avec mon pote que j’avais rencontré en boîte, Ryan. Et Ryan, en gros, lui, il faisait de la musique aussi, donc on parlait beaucoup sur ça. Et Ryan me dit « j’ai un nouveau son, est-ce que tu peux me dire ce que tu en penses ? ». En fait, j’étais le seul de ses potes qui rentrait vraiment dedans quand ça n’allait pas. Plutôt de dire « oui, c’est vraiment cool » je dis « non mec, tu as un problème sur ton énergie, l’émotion, elle n’y est pas. Les mecs, tu les perds à cet endroit ».
Je lui fais un vrai débrief et puis on parle une heure et tout. Je dis « Sinon, c’est quoi les news ? C’est quoi les projets ? » Il dit « Ouais, je viens d’acheter un van avec un pote, on part en Iran ». Je fais « Arrête tes conneries, sérieux. Mais mec, je suis en train de regarder sur Internet si je trouve un van pour l’Iran ». Et je lui dis « Mais vous cherchez du monde en fait ? Vous êtes chauds pour un troisième gars ? » Il me dit « Oui. Compliqué. Tu sais, on est avec mon pote, c’est un projet qu’on a fait à deux. Mais tu sais quoi, passe, passe si tu le rencontres et on voit ». Je dis « écoute, OK ».
Deux jours plus tard, je prends l’avion pour Berlin et je rencontre le gars. Et là, tout de suite, s’installe une logique de, on fait un voyage tous les trois. Paul qui a acheté le van va nous enseigner la mécanique, Ryan qui est blogueur va nous enseigner Internet, le monde magique d’Internet, les réseaux sociaux, le truc. Et moi, je vais leur enseigner la photo et le storytelling et comment créer quelque chose de beau. Et c’est Ryan qui m’a initié à ça. Il m’a dit « Mais mec, méga tes photos ! ».
Moi, ma logique à l’époque qui était la logique de tous les photographes en 2015, c’était quand tu es photographes, tu détiens des photos exceptionnelles, donc il ne faut surtout pas les publier parce que ce qui a de la valeur, c’est de les garder pour pouvoir faire un livre éventuellement. Et Ryan, il m’a dit…
Olivier Roland : C’était avant Instagram, oui.
Steven Herteleer : Ça, c’était avant Instagram. Mais Ryan, c’est un mec précurseur, vraiment un pur visionnaire. Il avait vraiment beaucoup d’avance. Et il me dit « Gars, tu penses à l’inverse, c’est n’importe quoi ce que tu dis, c’est le contraire. Tes photos, elles ont tellement de valeurs que si tu les donnes gratuitement, tu vas attirer des gens qui vont être intéressés par ce que tu fais, et ce qui a de la valeur, c’est l’audience que tu peux avoir. » Mais avant que le mot audience existe. 2015, si, toi, tu avais une liste email, tu connaissais le truc, mais genre il y avait 50 personnes sur terre qui connaissaient la valeur d’avoir de l’attention de la part des gens et de la confiance.
Et lui, il me dit « Mais tes photos, tu les mets gratos. Tu inondes de tes photos. Tu es suivi par des gens, tu les inspires, tu leur donnes de la valeur. En plus, tes histoires, elles vont faire rêver les gens. Tu parles de tes histoires, tu montres tes photos, tu fais en sorte qu’ils te kiffent et tu verras plus tard ce que ça donne. Mais c’est ça le truc que tu peux faire. ». « OK, si tu le dis. »
Donc, je lance une page Facebook et en gros, la page Facebook explose tout de suite, parce que du coup, photo de pro. J’avais déjà 3 ans de tour du monde, donc je commençais à bien connaître le sujet de prendre les photos de tour du monde.
Je lance mes photos, je mets beaucoup de textes. Maintenant, avec du recul, je comprends que c’était du copywriting que j’étais en train de faire, mais je ne le savais pas à l’époque. En fait, les textes, c’est une de mes forces aujourd’hui, c’est l’écriture. Je me rends compte que j’embarque les gens dans des histoires, que je mets une espèce de phrase « waouh » au début, qui donne trop envie de voir la suite, donc un hook. Qu’à la fin, je retournais le truc, et vous les gars, vous en pensez quoi ?
Olivier Roland : Si tu vois que tu as toutes les pièces du puzzle déjà en fait, il n’y a plus qu’à.
Steven Herteleer : Et beaucoup à l’intuition, mais il y avait le hook, il y avait le storytelling, il y avait le call to action à la fin, il y avait les photos qui sont en véhicule pour faire du buzz, et la chaîne prend 100 000 followers pendant le voyage, en 3 mois.
Olivier Roland : La chaîne, tu veux, dire la chaîne…
Steven Herteleer : Facebook, pardon.
Olivier Roland : Et pas Instagram ?
Steven Herteleer : Non. Parce qu’à l’époque, je me suis planté. Je pensais que c’était Snapchat qui allait prendre. Je pensais qu’Instagram, c’était nul parce que c’était des carrés avec des filtres, je me suis dit « c’est nul, ce n’est pas de la photo ». Donc, j’ai fait un an de Facebook, 100 000 fans en 3 mois, 500 000 en un an.
Olivier Roland : 100 avec zéro budget pub.
Steven Herteleer : Oui. J’ai boosté des publications, mais ce n’est pas ça qui a fait les 500 000. Toujours, moi, ce que je recommande, aujourd’hui, je suis formateur sur les réseaux sociaux, c’est quand tu vois qu’un truc cartonne, tu mets un peu de budget dessus pour le faire encore plus cartonner. Mais non, 500 000, ça a buzzé le truc. En fait, c’est devenu incontournable sur le marché français, c’est devenu une des quelques chaînes qui ont bien pris. Et du coup, je lance Snapchat l’année suivante.
Olivier Roland : Quel était le nom de la page ?
Steven Herteleer : Les carnets de Steven.
Olivier Roland : OK.
Steven Herteleer : Parce que pendant mon tour du monde, oui, il y a un objet que j’avais toujours sur moi, c’était un carnet. J’avais toujours un carnet pour écrire. Et pendant mon tour du monde, j’en ai rempli 12 carnets de 200 pages, donc 2 500 pages, qui sont quelque part là-bas. Je m’étais dit « les carnets de Steven ». Et il y a encore des gens aujourd’hui qui…
Olivier Roland : Tu as tous numérisé, j’espère ?
Steven Herteleer : Mon père.
Olivier Roland : D’accord.
Steven Herteleer : Parce qu’en fait, j’envoyais aussi des trucs. J’envoyais un disque dur et un carnet, c’était très risqué le carnet. Non, c’est ça que je faisais.
Olivier Roland : Une photo de chaque page.
Steven Herteleer : Je prenais les photos de chaque page et je donnais le carnet, je crois avoir perdu aucun carnet et un disque dur qui s’est pété. Mais ce n’est pas grave puisque j’avais toujours les cartes mémoires.
Bref, les carnets de Steven, après, j’ai changé le nom, j’ai juste mis mon nom sur tous mes réseaux sociaux parce que j’ai découvert le personal branding, je me suis rendu compte que c’était important de, surtout en tant que photographe de capitaliser sur ton nom. J’ai beaucoup de livres de photos, ce qui est mis en avant, c’est le nom du photographe. C’est comme ça que marche la culture des photographes. Bon, bref.
J’ai changé après-coup les carnets de Steven en Steven Herteleer, et en gros, 500 000 fans sur Facebook. Et je me lance sur Snapchat, mais gros gap de génération. Il y a eu Facebook, c’est ma génération. Instagram, j’étais à la fin de cette génération. C’était les balbutiements dans l’Instagram. De justesse, j’étais sur la génération Instagram, mais Snapchat, c’est la génération d’après. Tout comme TikTok, c’est encore la génération d’après. De moins en moins, on maîtrise les codes, ça ne me fait pas rêver alors qu’Insta, aujourd’hui, me fait plus rêver en tout cas dans les codes qui m’intéressent.
Bref, un an après la vague Instagram et un an après tous mes voyages, je lance Instagram. J’ai un peu ramé, ça n’a pas explosé comme Facebook, mais il y a quand même eu à peu près en un an 100 000 followers.
Olivier Roland : C’est beau déjà.
Steven Herteleer : Oui, c’est beau. Et ça a fini à 160 000 followers à peu près au plus haut d’Instagram. Et maintenant, ça fait 2 ans que je ne poste quasiment plus, genre une photo tous les 3 mois, donc j’ai perdu 10 000 followers. Parce que ça s’érode tranquillement. Les gens désabonnent tranquillement.
Facebook explose, Instagram explose. Et le truc que je n’ai pas précisé qui est super intéressant pour les gens qui nous écoutent, c’est qu’il y a eu un point d’orgue où j’ai eu le choix entre prendre les 1 000 000 d’euros pour le studio ou partir en road trip pour apprendre Facebook, Instagram, le blogging.
Olivier Roland : Parce que le Californien était d’accord pour te financer.
Steven Herteleer : En fait, c’est que j’avais un projet, j’avais le lieu. Il y avait un endroit à vendre, j’avais tout basé sur ça et j’avais fait un vrai bon pitch. Ce n’est pas quelque chose de généraliste, c’est quelque chose de spécialisé. En gros, mon pitch, c’était voilà le lieu, voilà où il est, il est connecté à 10 minutes de chez telle entreprise, du coup, je vais pouvoir les démarcher, eux. Il y a deux étages. Les travaux, c’est ça. En fait, tout le dossier était monté sur ce lieu, si tu enlèves le lieu, des lieux atypiques, tu es obligé de tout refaire.
Et il y a un momentum avec ce genre de gars, en mode genre, enfin, tu vois. Ce genre de gars, c’est genre « OK, let’s do it. » et si tu ne le fais pas, c’est genre « OK, il n’a pas fait ». Ça se ressentait. Et peut-être que je me suis mis une barrière. Si cela se trouve, j’aurais re-démarché derrière, ça aurait re-remarché. Mais j’ai eu ce feeling de genre « OK. Tu as des guts de me demander ça. Vas-y, on le tente. » Et si je lui dis finalement « on ne va pas le faire », c’est mort.
Olivier Roland : Oui. Mais ça, je suis d’accord avec toi.
Steven Herteleer : Il y a un momentum qui fait que… Et j’ai dû faire le choix. Et je me rappelle, c’est le moment où je commençais beaucoup à bosser avec L’Oréal parce que j’ai travaillé chez L’Oréal. Donc, j’avais des potes chez L’Oréal, j’ai pu re-démarcher des gens chez L’Oréal.
Olivier Roland : C’est à ce moment-là que tu as fait la fameuse photo avec François Hollande ?
Steven Herteleer : Oui.
Olivier Roland : Puisque c’était en 2015, juste avant qu’il… enfin, non, je pense en 2017.
Steven Herteleer : C’est en 2017. C’était à cette période-là. Mais en effet, il y avait toutes les portes qui commençaient à s’ouvrir et, en effet, j’ai shooté François Hollande dans son bureau pour l’émission « Envoyé spécial ».
Olivier Roland : Est-ce que tu peux nous faire une petite parenthèse là-dessus ? C’est quand même drôle. C’est quand même intéressant.
Steven Herteleer : J’aime bien raconter que la photo, ça peut ouvrir toutes les portes jusqu’à celles de l’Élysée et je me suis retrouvé à shooter François Hollande dans son bureau, mais aussi son garde du corps, le sommelier, on a goûté du cheval blanc, le jardinier… On a fait tout l’Élysée.
Olivier Roland : C’était un reportage sur l’Élysée, c’est ça ?
Steven Herteleer : Oui. Ça s’appelait « Coulisses de l’Élysée » pour « Envoyé spécial » et ils avaient besoin pour le dossier presse de faire les photos de tout le monde. Et du coup, moi, j’ai fait ces photos-là et c’était un truc énorme.
Olivier Roland : Tu peux raconter un peu, juste parce que là, je pense, beaucoup de gens sont curieux. Comment ça s’est passé ? Tu arrives à l’Élysée, ils t’ont tout scanné pour être sûr que tu n’as pas d’arme et tout ça ?
Steven Herteleer : Il y a des trucs très rigolos à l’Élysée. Le premier, c’est que tu as un poste de sécurité qui est OK. On va dire, il est similaire à un aéroport. Tu pourrais t’attendre à une fouille de malade, type aéroport, on va dire. Tu mets tes trucs.
Olivier Roland : Ils scannent tout.
Steven Herteleer : C’est comme le Louvre, mais un peu plus. Quand tu vas au Louvre, c’est entre l’aéroport et le Louvre. Tu es scanné, tac, les gens te checkent. De toute façon, tu as été…
Olivier Roland : Validé avant ?
Steven Herteleer : Oui. En fait, tu as la DGSE qui a forcément checké qui tu es. Donc en fait, en vrai les gens savent déjà qui tu es avant que tu arrives, je pense. Tac, tu rentres. Et là, ce qui est trop drôle, c’est que pendant que tu es à l’Élysée, tu vois tous les gens de la télé. Tu vois tous les ministres, les gens, les journalistes télé, tous. Ils sont tous là, c’est trop bizarre. Laurent Fabius. Je vois Laurent Fabius, c’est trop drôle. Toi, tu les connais tous. Eux, ils ne te connaissent pas, donc tu es comme ça toute la journée, genre « Waouh ! Waouh ! ». Et ils te disent tous bonjour. C’est la culture à l’Élysée. Dès que quelqu’un te croise : « Bonjour ! Bonjour ! » Donc, j’ai dit bonjour à tout le monde. Un truc de ouf.
Donc, on fait tout le truc. Et ce qui est trop drôle avec l’agenda du Président, c’est qu’il est millimétré à 15 secondes près. En fait, tu as des gens qui sont là. Ils disent « Alors, le Président va sortir dans 2 minutes 30. » Et genre, ça arrive. En plus, moi, je savais…
Olivier Roland : Et toi tu es là avec ton appareil ?
Steven Herteleer : Oui, ils m’ont dit « Vous avez 30 secondes pour le shooter », ce genre de choses. Pas de problème. Aucun problème. Et donc, tu étais prêt, tu recheckes, tu prends ta photo, tu prends une photo de la porte, tu dis « OK. C’est bon. Donc, s’il sort là, il faut que mon focus, il soit là. Si jamais il bouge trop vite, si jamais il y a quelqu’un devant, qu’est-ce que je fais ? » Tu commences à t’embrouiller, genre OK, comment je vais faire ?
Et là, les mecs, en plus, tu te stresses. Toute la journée, tu attends le moment où tu vas shooter 30 secondes le Président. Et les mecs en plus disent « Alors, on décale d’une minute ». Là, tu as la pression qui monte, comme quand tu dois passer le Bac ou les trucs comme ça. Tu disais : Oh là ! Là ! Il faut que ça arrive. OK, le Président a 15 secondes de retard. Tu dis « Les gars, ça va, envoyez le Président. »
Et il sort et première image, il fait toujours « Bonjour. » Là, je mitraille, je prends les photos et tout, « bonjour, enchanté », trop sympa comme si on était pote. Tac, il me donne mes 15 secondes puisque du coup, c’était 15 et pas 30 finalement, et hop, il trace et là, c’est tout. Après, je l’ai revu à 2 ou 3 endroits, mais c’était la photo qu’il nous fallait.
Et ce qui était trop drôle aussi, c’est que du coup, le garde du corps m’avait expliqué. Il m’a dit quand le Président sort de son bureau, là, il y a des fenêtres, donc je vais me mettre en ligne directe d’un snipper éventuel et le Président ne marche jamais en visée directe d’une fenêtre extérieure dans l’Élysée, par exemple. Tu as toujours un garde du corps qui est devant. Et le garde du corps, on l’a shooté, mais il ne fallait pas qu’on le reconnaisse, personne ne sait qui est le garde du corps. Du coup, moi, je sais qui c’est parce qu’à la télé, je le vois souvent. C’est le même mec depuis 30 ans. C’est une espèce de James Bond, armoire à glace, très beau gosse, stoc.
Olivier Roland : Quel que soit le Président, il reste le garde du corps ?
Steven Herteleer : C’est le gars qui connaît les issues de secours, les trucs. Donc, il y a un gars bien en place et inter Président.
En fait, il y a beaucoup de gens à l’Élysée qui sont les mêmes, peu importe le Président. Tu as une administration qui reste, c’est une énorme machinerie. Tu as un chef étoilé dans l’Élysée qui cuisine à chaque fois, qui a une délégation. Là, quand j’y étais, c’était la délégation de Colombie, ils ont reçu 200 personnes. C’était du grand vin, les grands mets à la française, cuisine étoilée. L’idée, c’est de montrer… Alors, il y a plein de gens qui vont dire « Ah ! Mais c’est abusé, il y a plein d’argent gâché. » Moi, je n’adhère jamais à ces philosophies-là, je considère que c’est important que la France investisse sur ça, c’est de l’image.
Olivier Roland : Ce sont des images. Oui.
Steven Herteleer : Ça rappelle qu’on est juste…
Olivier Roland : D’accueillir bien les gens.
Steven Herteleer : C’est ça. Tu ne peux pas dire à la fois que tu es dans les puissances qui dominent le monde et qui indiquent la direction, être un pays avec une histoire aussi longue, si derrière, tu ne vas pas envoyer du « waouh ! » quand tu reçois les gens. Franchement, tu entres dans l’Élysée, tu fais OK. Le chocolat à la fin, c’est dans des assiettes en or. J’en ai porté une, tu as du mal à la porter. Tu fais « Ah oui, OK ». Tout est comme ça et tu es tout petit en fait. Tu dis genre « France, immense puissance. Respect absolu. » Quand tu es dans l’Élysée, c’est genre « Respect absolu ».
Donc, c’est cool quand même, même si c’est beaucoup d’argent qui… voilà. Mais bon. Et donc, oui, Élysée, trop cool et que grâce à la photo, c’est vraiment la photo qui a ouvert cette porte-là.
Je dirais qu’aujourd’hui, dans mon mix, les trucs qui m’ouvrent le plus de portes, c’est la photo. C’est-à-dire pas la photo, mais ma capacité de permettre à quelqu’un d’avoir une très bonne image dans n’importe quel contexte. C’est-à-dire que prendre une photo, c’est donner la possibilité à quelqu’un d’avoir sa photo quelque part sur une affiche, dans un film. Je fais les photos et vidéos. Mais c’est cette logique-là, les gens veulent. Tout le monde sur terre a besoin à un moment d’avoir une bonne image. C’est ça, un des trucs qui m’ouvrent beaucoup de portes.
Un autre truc qui m’ouvre beaucoup de portes aujourd’hui, dans cette volonté de tester un peu toutes les vies et de vivre un peu tout ce qui existe, ce sont les réseaux sociaux. En fait, Instagram va permettre à plein de gens de pouvoir communiquer. Par exemple, il y a des pays qui vont m’inviter pour dire que le pays est génial. Il y a des marques qui vont vouloir m’inviter sur un évènement pour qu’on fasse des trucs, pour être associé à ça.
Donc, réseaux sociaux, c’est de la visibilité. Photos, c’est de l’image. Réseaux sociaux, c’est de la visibilité. Et là, la boîte, elle marche assez bien, donc ça fait du cash et le cash, c’est aussi une manière d’ouvrir des portes, mais paradoxalement un peu moins noble que les autres. C’est-à-dire que ça devient un vrai échange quantifié, genre, « ça, ça vaut tant, tu paies ça, tu as ça. » Mais la photo, il n’y a plus de limite. Tu peux être avec le Président, tu ne peux pas acheter devant le Président. Et la photo, il n’y a plus de niveau. En photo, il y a le mec qui vient faire ta photo, tu as besoin de lui, donc ça ouvre toutes les portes et comme l’influence.
C’est vraiment trois piliers. Et il y a quelque chose de similaire à la photo, qu’il y a beaucoup plus de gens qui peuvent que… parce que c’est très technique la photo, mais il y a autre chose que la photo qui est similaire, c’est le mindset. Si tu sais faire du conseil, si tu as une expertise et que tu peux aider les gens en développement personnel, en mindset, en intelligence, en stratégie, c’est proche de la photo comme logique. Et aujourd’hui, je me dirige un peu vers ça, c’est pouvoir apporter aux gens des solutions. Et ça aussi, ça ouvre toutes les portes.
C’est aussi un des trucs qui m’intéressent le plus aujourd’hui, de connecter avec d’autres entrepreneurs, d’être dans des cercles de gens qui réfléchissent bien, qui savent déverrouiller des portes, qui ont des approches, qui savent penser différemment, parce que déjà, je pense qu’on se nourrit mutuellement et aussi tout le monde, dans tous les endroits les plus verrouillés du monde, a besoin d’intelligence et de prise de recul et de créativité et de mindset et de stratégie. Pour moi, c’est la prochaine étape vers laquelle je me dirige le plus possible.
Olivier Roland : Pour revenir où tu en étais, tu choisis de faire ce voyage en Iran. Donc, tu renonces à 1 000 000, tu te formes sur Facebook, tout ça, ça commence à marcher. Et comment tu gagnes ta vie avec cette page Facebook qui commence à fonctionner, Instagram aussi ?
Steven Herteleer : Jusqu’à récemment, je n’ai jamais craqué la logique de « j’ai une audience, donc c’est rentable. » Je l’ai toujours fait et ça joue sûrement avec le fait que ça a autant pris. C’est-à-dire que je n’ai jamais rien vendu à part du kif ultime, du développement personnel, des idées, du mindset. Et j’ai donné, donné, donné comme un malade des photos de ouf, des têtes de ouf. Il y a vraiment beaucoup de gens qui m’écrivaient genre « Mec, ce que tu as écrit-là, ça m’a pété le cerveau. J’ai démissionné, je suis parti en tour de monde, ça a changé ma vie. », ou genre « j’ai reconnecté avec ma femme », ou genre « j’ai réalisé mon rêve ». Mais des tonnes de messages. 500 000 fans, c’est beaucoup, donc vraiment beaucoup de messages. J’ai fait ça pendant des années, de 2015 à 2020, je pense. Plus de 5 ans à donner énormément puisque cela me faisait trop marrer.
Olivier Roland : C’est une stratégie business ? Et comment tu gagnais ta vie alors, toujours en étant photographe ?
Steven Herteleer : Que par la photo. Mais le fait que les réseaux grossissent fait que j’avais plus de crédibilités auprès des gros acteurs.
Olivier Roland : Tu as pu monter tes prix, choisir tes clients en plus.
Steven Herteleer : Exactement.
Olivier Roland : Et tu continues à voyager ou pas ?
Steven Herteleer : Oui. Si tu regardais de l’extérieur, tu dirais « Ah ! Ça pourrait être organisé différemment pour que ce soit directement rentable, ça l’était indirectement. » Quand tu regardes les trucs de l’extérieur, tu dis « beaucoup de followers, beaucoup de jobs, du cash, donc c’est sûrement les followers qui… » En fait, ce n’était pas du tout ça. C’est juste que d’un côté, il y avait beaucoup de followers parce je les ai kiffés. Ça me donnait de la crédibilité pour les grosses boîtes, du coup, ils me donnaient des jobs, et c’était rentable. Et je finançais moi-même des voyages et ces voyages me permettaient de faire des photos qui me permettaient de faire kiffer mes followers. Et c’est un peu un triangle comme ça. Ça ne circulait pas forcément dans le bon sens.
J’investissais beaucoup sur mes voyages, mais aussi pour être 100% libre de mes voyages, pour ne pas que ce soit un job. C’est toujours risqué de bosser sur sa passion et de te faire couper ta passion parce que tu dois quelque chose. Donc, je préférais créer de l’image comme un malade pour donner envie à des personnes qui ont du budget de vouloir bosser impérativement, bosser avec moi, et ensuite, utiliser une partie de ça pour me former, acheter du matos, voyager et créer en tant qu’artiste, vraiment donner sur Internet.
À un moment, ça s’est un tout petit peu inversé quand il y a des boîtes qui ont commencé…, des pays, des entreprises qui ont commencé à me contacter pour l’influence. Ils m’ont dit « Est-ce que tu ne viendrais pas au Canada ? On peut te rémunérer et tu nous donnes des photos en échange ». Et tu dis, tu racontes ton expérience. « Tu n’as pas besoin de raconter que tu as aimé si tu n’as pas aimé, mais on est sûr que tu vas aimer. Donc, on n’est pas trop inquiet sur ça. Viens au Canada, on va te faire kiffer et tu racontes vraiment ton expérience. » Et c’était le début de l’influence. J’ai découvert ce que c’était.
Aujourd’hui, influenceur, c’est un mot connu. Mais 2016-2017, c’était le début des influenceurs et on ne comprenait pas trop ce que c’était. Ce n’était pas très bien vu. C’était le début. Donc, il y a ça qui commence à prendre.
Et il y a un deuxième moment, ça continue à grossir, de plus en plus de followers, de plus en plus de jobs. 2018-2019, ça explose à tel point que là, pour le coup, je me sentais légitime d’aller voir un banquier pour lui dire « OK, cette fois-ci, j’ai besoin d’emprunter. J’ai l’historique, ça fait plusieurs années que ça grossit. Il y a les followers, il y a le chiffre d’affaires et j’ai une vision. » C’est-à-dire que ce que je veux, c’est arrêter de tout porter moi-même. Je veux pouvoir m’entourer de personnes pour être capable de produire beaucoup plus, beaucoup mieux, même de gens meilleurs que moi sur plein de trucs techniques pour me décharger et pour pouvoir faire d’autres choses et étendre le truc. Donc, lancer une chaîne YouTube. Mais cette chaîne YouTube rapporterait aussi de l’image qui permettrait de vendre plus. Embaucher des gens, embaucher un directeur artistique, mais ce directeur artistique me permettrait de faire des projets plus pointus…
Donc, je présente tout mon projet à un banquier qui accepte de me suivre et j’achète ici ce studio. C’est un énorme risque parce qu’un business plan, c’est du bluff. Comment tu peux prédire que ça va marcher ? Si tu promets que ça va marcher, tu fais de ton mieux.
Olivier Roland : Les chiffres sont un peu tirés. Tu tires ton chapeau.
Steven Herteleer : L’exercice est débile. Il est débile, non, mais je veux dire, tu dis bah. Moi, ce que je lui ai expliqué, je n’avais pas les moyens d’acheter ce studio, mais j’ai dû démontrer qu’en achetant ce studio, j’allais pouvoir louer une partie, vendre des jobs plus chers, embaucher. Du coup, vendre plus de jobs, créer une chaîne YouTube et cette chaîne YouTube, je tablais sur tant de fans. Tu quantifies le truc et tu dis, genre « on aura 100 000 fans sur YouTube dans 3 ans ».
Olivier Roland : Absolument.
Steven Herteleer : 100% pipeau. Tu y crois et tu espères. Mais comment tu peux promettre ça ?
Olivier Roland : Impossible.
Steven Herteleer : C’est impossible. D’ailleurs, je n’ai finalement pas lancé la chaîne YouTube. Un peu, mais il y a 5 000 followers et on a publié 5 vidéos parce que je n’ai pas priorisé ça. En fait, il n’y a rien qui s’est réalisé, mais ça t’oblige quand même à faire de la vision un peu. Ça m’a quand même mis sur le papier des trucs.
Olivier Roland : Je suis d’accord. Pour moi, je vois ça un peu comme une tradition finalement pas très rationnelle, mais ça a quelques avantages. Mais surtout, c’est du pipeau quand même. Le business va sur 3-5 ans, mais après, le banquier va te demander ça. Ça fait partie des trucs.
Steven Herteleer : Ça montre quand même parce que si moi, j’écris ma vision, toi ou n’importe qui écrit sa vision, on va aller dans une direction différente. Ça montre quand même, quel est ton feeling de la vie ? J’aurais pu dire « Ici, on va louer comme des malades. Et tous les jours, on va louer à des grosses marques et ils viennent shooter ici. » Donc, c’est un business de location plutôt. Moi, c’était un business de on va tout auto produire et on va faire gros.
Ça donne quand même un feeling, et un banquier, il va te suivre pour le storytelling. Il va te suivre pour le business plan. OK. Sur le papier, ça a l’air de tenir, mais pour le mec ou la meuf qui est là derrière, genre OK, cette personne-là quand je l’écoute, elle est déterminée, elle a les guts, elle me fait rêver. Quand je pose un blocage, tac, il en fait une compétence. Mais si jamais il y a une crise ? Cette crise est trop bien, ça veut dire qu’il y a un marché ici. OK. D’accord. Il réfléchit comme ça. C’est aussi une manière de voir pour lui : Est-ce que ce partenaire va vraiment réussir à faire ce qu’il dit ? C’est un peu comme ça que j’ai compris l’exercice.
Et le banquier me suit. Donc, mi 2019, j’achète ce studio et début 2020, COVID. Bam ! Et là COVID, ce qui est génial, c’est qu’heureusement, je n’avais pas mis tous mes œufs dans le même panier. D’un côté, j’avais un studio photo fait pour des grosses prods. Ça, ça se casse la gueule et on fait zéro euro de chiffre d’affaires pendant 2 ans parce que les budgets pub, c’est ce qui est gelé en priorité. En plus, il y avait une jauge à 6 personnes. Ici déjà, mon équipe fait plus de 6 personnes, on ne pouvait même pas recevoir de client, donc gelé. Mais heureusement, je n’avais pas mis tous mes œufs dans le même panier, je suis influenceur voyage. Et merde, c’est vraiment le deuxième. Il ne manquait plus qu’un resto et je faisais le tiercé gagnant.
Donc, influenceur voyage, oui, on pouvait voyager, mais très mal vu.
Olivier Roland : En plus mal vu. Absolument.
Steven Herteleer : Impossible de communiquer, c’est genre « Yoh ! Je suis en train de voyager. » Et là, c’est au pied du mur.
Au début, ce qui s’est passé quand ça a confiné, moi, j’ai un gros truc sur la liberté, je pense qu’on a cette valeur en commun. Et quand j’ai vu que ça allait confiner, je l’ai senti. C’est que Macron avait parlé une première fois à la télé. Puis, l’Italie confine, genre tout le monde confine. Et ça veut dire quoi le mot « confinement » ? Moi, j’ai appris le mot confinement à ce moment-là. J’ai appris qu’il y avait un historique du confinement depuis le Moyen-âge, mais jamais, je n’avais entendu parler de se confiner quand il y a une épidémie. C’est quoi ce délire ? Mais c’était encore dans les livres anciens, genre, quand il y a l’épidémie, il faut confiner la population. Apparemment, c’est un réflexe mondial, je ne le savais pas.
Et là, je vois que Macron parlait une deuxième fois à la télé, petit feeling, l’Italie confine. Le Président parle une deuxième fois à la télé, ce n’est jamais arrivé. On va se casser. Donc, j’ai pris un avion pour Bali parce que je me suis dit « Si jamais ça part en live, je veux être dans un endroit où il ne va pas y avoir une guerre et où il y a un peu d’abondance. » Je me suis dit « Bali, c’est Bouddhiste, c’est une île. J’imagine mal une nation entière envahir Bali, il n’y a rien à Bali. » Les gens sont pacifistes et c’est très touristique. Donc, il y a de la nourriture, il y a des infrastructures, il y a des trucs. Je choisis Bali, c’est safe.
Olivier Roland : Tu étais déjà allé là-bas ?
Steven Herteleer : Non.
Olivier Roland : D’accord. Intéressant.
C’est intéressant, tu as vraiment ce réflexe international alors que beaucoup de gens n’ont pas. Moi, pareil, j’ai vécu tout le COVID à Dubaï et puis dans d’autres pays, mais Dubaï, c’était le centre du monde où les gens venaient là pour échapper au confinement. Et beaucoup de personnes n’ont pas ce réflexe, de se dire « OK. Là, en ce moment, j’ai cette contrainte dans ce pays-là, est-ce que je ne peux pas aller dans un pays où il n’y a pas cette contrainte ? » Et toi, tu as même fait plus que ça, tu as anticipé le problème et tu dis « Où est-ce que je peux vivre au mieux ? » Donc, tu es arrivé à Bali et là, tu vis la belle vie alors.
Steven Herteleer : C’est génial, on ne va pas se le cacher.
Olivier Roland : Là, du coup, tu ne gagnais pas d’argent ?
Steven Herteleer : Non.
Olivier Roland : C’était en mode « OK. Je vais profiter. »
Steven Herteleer : Oui, c’est ça. En fait, j’avais un peu de tréso. Quand tu as une boîte, normalement, tu as 3, 6 mois, 8 mois de tréso en cas de coup dur. Alors moi, dans ma tête, c’était au cas où je me pète une jambe. Je me suis dit « si je me pète une jambe, il faut que je puisse tenir 6 mois » et puis, j’avais un peu…
Olivier Roland : Oui. Typiquement, il faut 6 mois, un an. 6 mois, c’est bien déjà.
Steven Herteleer : C’est ça. Et maintenant là, après ce qui s’est passé pendant le COVID, mon objectif, c’est un an clairement. Je suis trop en risque.
Olivier Roland : Après, c’est le problème quand tu as trop de tréso. Comme l’inflation est haute en ce moment, ça te coûte quand même cher.
Steven Herteleer : Oui. C’est le prix de l’invincibilité, je pense.
Olivier Roland : C’est une assurance, oui.
Steven Herteleer : C’est ton assurance ou ton invincibilité ou ta capacité à dire non, ou ton courage aussi. Puisqu’en fait, c’est plus simple d’être courageux ; si tu fais une connerie, tu as un an pour voir venir. Mais là, pendant le COVID, oui. Les 3 premiers mois, on est à Bali. Ce qui est bien, c’est que tous les prix sont tombés puisque tout le monde est parti de l’île, donc tout était à moins 75%. On a pu vivre trop bien, on s’est fait kiffer, c’était top. On est revenu en France.
Là, j’embauche mon premier gars, un réal. Je lance un gros concours sur les réseaux sociaux, j’embauche quelqu’un. Et Canon me met ambassadeur de leur nouvel appareil photo. Donc, on part en tour de France en mode : Mon objectif, c’est OK. Je vais filmer plein de conseils pour faire de la photo et je lance ma chaîne YouTube. Je fais ça, tac. On revient en Septembre, tac. On commence à monter, le truc était top.
Octobre, toujours pas de chiffre d’affaires depuis 10 mois, depuis Janvier. Et là, je me dis « Allez ! C’est parti. Les clients, ça va le faire. » Et là, mes clients qui m’écrivent en série, le chiffre d’affaires plonge. On ne rechutera pas cette année, donc zéro job. Là, je commence à comprendre que c’est chaud. Et des rumeurs de seconde vague et de reconfinement et de trucs. OK.
Et mon problème, c’est que j’avais quand même facturé un peu au début d’année les arriérés de l’année d’avant. Bref sur le papier, j’avais fait une belle année. En fait, je n’avais pas de tréso en allant à Bali, mais j’ai facturé tous mes anciens clients, du coup, il y a des sous qui sont rentrés. Et pour les aides, on regardait le chiffre d’affaires, on disait « Mais non, tu as fait le chiffre d’affaires. « Oui, mais c’est mon chiffre d’affaires de l’année d’avant et cette année, j’ai gagné zéro en vrai. » Bref, je me retrouve dans une situation où je ne peux pas faire le chiffre d’affaires avec le studio, pas avec l’influence, et aucune aide possible. Mais un studio à payer, un mec que j’ai embauché à payer, mon frère qui bosse avec moi aussi à payer, puis accessoirement, pour pouvoir vivre.
Olivier Roland : Oui. C’est facile.
Steven Herteleer : Ça fait beaucoup de cash par mois. C’est une boîte, c’est du chiffre d’affaires, c’est une entreprise. C’est énorme et ça fond très vite. Quand tu n’as pas de rentrée d’argent, une boîte, ça fond très vite.
Et là, je me dis. Là, vraiment, j’étais au pied du mur, je commençais à appeler des potes et il n’y a aucun qui me donne la bonne idée. Ils me disaient « Oui, tu pourrais donner des petits cours photos. » genre « Non, ce n’est pas ça, ce n’est pas ça ». Je me dis « Comment je sors énormément de sous pour sauver le studio ? » Je vais même jusqu’à appeler mon ancien comptable avec qui on s’était un peu effrité parce qu’il y avait eu des erreurs, donc on s’était quitté pas en super terme. Et je le rappelle parce que quand même, j’avais confiance en lui. C’est-à-dire que c’était un bon. Humainement, on s’était un peu effrité, mais c’était quelqu’un de vraiment top. Et je l’appelle et je lui dis « Écoute, je te rappelle la queue entre les jambes, mais j’ai besoin de ton intuition, ton feeling. J’ai ça comme dettes, je n’ai pas payé l’URSSAF depuis un an, j’ai ces salaires qui s’accumulent, je n’ai plus de quoi payer le studio, qu’est-ce qui est grave ? »
Olivier Roland : Normalement, tu bénéficiais d’aide, non, de l’État pour ce genre de situation ?
Steven Herteleer : Rien du tout. Le seul truc, j’aurais pu me déclarer en faillite et on aurait pu geler tous les emprunts. Mais après, tu es interdit bancaire et tu es dans une démarche où tu n’en sors jamais, parce qu’en plus, on était en plein milieu du COVID, il fallait tenir encore un an. Mais la dynamique n’était pas bonne. Je me suis dit « non, il faut créer un truc, un empire à partir de rien là comme ça. » Et mon comptable me dit « Écoute, tu pourrais te déclarer en faillite, tu serais interdit bancaire. Mais vu que c’est le COVID, ça devrait passer. L’URSSAF, tu peux leur écrire et tout ».
Et là, je commence à avoir une espèce de truc de galère, de lose, de demander. Et ce n’est pas la bonne énergie d’être en demande dans tous les… d’être désolé, genre « les gars, je suis désolé, je n’y arrive pas. » Tu es bloqué, et en plus, tu te fais agresser tout le temps. C’est genre, tu ne peux pas et du coup, on voit dans 3 mois. Mais dans 3 mois, tu ne peux toujours pas, du coup, tu te fais encore plus agresser, tu es accablé, tu es au fond du trou et tout le monde t’appuie dessus. Et je me suis dit « Il ne faut surtout pas que je me retrouve dans cet état-là. »
Et là, je n’en dors pas, c’est vraiment genre je creuse dans la tête. Et là, d’un coup, je me dis « OK, on va regarder ce que j’ai. J’ai quand même 500 000 personnes sur Facebook et 160 000 sur Insta. Ça a de la valeur. » Pourquoi ? Parce que ces gens, ils me font confiance. Donc si je les fais kiffer, il peut se passer un truc de ouf. OK.
Je commence à voir qu’il y a des gens qui font des formations sur Internet, mais je ne connaissais pas du tout l’univers. Je savais juste qu’une pote avait lancé sa formation, elle avait bien marché. Donc, je me dis « je vais l’appeler, elle va me coacher. Ce qu’elle a fait et elle a clairement participé à sauver mon business, Lisa. Lisa qui a été déterminante.
Et j’ai fait de la programmation en Allemagne. Je me dis « Je sais monter un site Internet, je sais les boutons, les trucs, les entonnoirs, une liste email, tout ce truc, je sais faire. » Après, je me dis « Qu’est-ce que je peux raconter aux gens, qu’est-ce qui fait que les gens seraient OK pour sortir, pour me payer ? » Je me dis « des cours photo, je pense, sur mon truc de voyage. » Je me suis dit « Soit je donne des cours de voyage », genre comment tu peux voyager sans sac à dos et tout le truc, mais je me dis, les gens, ils ne vont pas avoir beaucoup de budgets pour ça, « soit de la photo ».
Et je me dis « OK. Il faut que je vende de la grosse transformation bien profonde. » C’est-à-dire, j’ai positionné le truc sur storytelling. L’histoire à raconter pour que les gens, ils veuillent bien payer de quoi m’aider à faire le chiffre d’affaires dont j’avais besoin, c’est « Change de vie grâce à la photo. Vis la vie de tes rêves grâce à la photo. »
Tu as une vie aujourd’hui qui ne te plaît pas. En fait, mon histoire, tu as une vie aujourd’hui qui ne te plaît pas, comment la photo en 6 mois peut t’apprendre à faire la vie de tes rêves ?
Olivier Roland : Comment gagner ta vie avec aussi ? Et comment ça t’ouvre les portes et tout ça ? Intéressant.
Steven Herteleer : Comment apprendre la photo ? Comment avoir une écriture photo qui fait que tout le monde s’arrache tes photos ? Comment te faire un réseau ? Comment faire tes devis ? Comment percer sur Instagram ? J’ai fait le gros package. En fait, je l’ai vendu 500 euros au lancement. En vrai, ça valait 10 fois plus. Il y a des écoles aujourd’hui qui facturent 10 000 euros l’année, c’est moins bien. Là, pour 500 euros, tu avais tout. Donc, évidemment, le truc s’est vachement bien vendu.
Olivier Roland : Ça t’a sauvé ?
Steven Herteleer : Ça m’a sauvé. Ça m’a complètement sauvé, c’est-à-dire que ça m’a redonné 6 mois d’oxygène. Ça m’a payé tout. Alors, j’ai gagné, ça m’a fait 150 000 euros sur ce lancement-là. Il y a 100 000 euros qui sont repartis en dettes tout de suite.
Olivier Roland : Donc 150 000 euros en combien de temps de vente ? Une semaine ?
Steven Herteleer : Oui, une semaine de vente.
Olivier Roland : Une semaine avec un peu plus de travail en amont. Donc, tu as utilisé la formule de lancement de produits.
Steven Herteleer : Sans la connaître. De Jeff… dans Launch Formula.
Olivier Roland : Jeff Walker.
Steven Herteleer : Jeff Walker, voilà. Sans le connaître, mais en appelant ma pote Lisa qui m’a dit « Tu fais ça ». Au début, je voulais la vendre 60 euros, je voulais faire juste un module sur ma philosophie de la photo et c’était mon tour de France. Elle m’a dit « Non, ne fais pas ça. Vends-le 500 euros et explique aux gens qu’il n’y a que le module 1 qui est tourné et tourne les 4 autres pendant toute l’année, et puis tu rajoutes des modules. » Et elle me dit « Mais tu as quoi comme autre idée ? » Et c’est là où je fais « Je pourrais parler Instagram ». « Voilà. Génial. Fais Instagram. Qu’est-ce que tu connais d’autre ? » « Négocier des devis ». « Voilà, super, ça te fait un module de plus. »
On a travaillé comme ça. Et je me suis dit « OK, c’est quoi le package irrésistible qui va changer la vie des gens ? » Et pour moi, c’était important parce que j’ai aussi une audience, donc il y a une confiance. L’idée, ce n’était pas de sortir un produit pipeau pour faire du cash, c’était profondément de transformer les gens pour que derrière, il y ait la confiance qui reste. Donc, je me suis dit « un produit de malade, boum, c’était ça ». Je l’ai lancé en une semaine, ça a bien marché.
J’ai lancé une deuxième formation derrière Instagram pour les coiffeurs parce que j’ai plein de coiffeurs qui me suivent. Ça a refait un super score. Et du coup, j’ai pu éponger toutes les dettes que j’avais depuis un an, payer la banque, l’URSSAF, l’IRCEC de la retraite. 100 000 euros qui sont ressortis directs. Les chiffres sont délirants quand tu es dans une boîte.
Olivier Roland : Là, tu as découvert le business model de l’infopreneur.
Steven Herteleer : Exactement.
Olivier Roland : Là, on est à quel moment exactement ? On est en 2020, en 2021 ?
Steven Herteleer : Oui, on est en plein COVID. On est fin 2020.
Olivier Roland : Et là, tu te dis « c’est le métier que je veux faire ». Ça a l’air génial, 150 000 euros en une semaine.
Steven Herteleer : Oui, mais ce n’est pas ça mon trigger. Moi, mon trigger, c’est plus la liberté.
Olivier Roland : Ça aussi, ça donne une liberté incroyable parce que tu sais que tu peux gérer ton business du monde entier.
Steven Herteleer : Je suis d’accord. Je pense que j’ai un truc à creuser là-dessus et je pense que c’est peut-être un des prochains changements qu’il faut que j’opère. Mais tu as toujours un peu toutes ces logiques d’argent, c’est un truc, mais tu as la liberté, donc ton temps qui est plus fondamental pour moi, ce que je peux faire de mon temps, et il y a aussi comment tu peux changer le monde, le côté impact.
Et moi, ça a toujours été quelque chose de très important, c’est pour ça que pendant 5 ans, j’ai fait des réseaux sociaux gratuitement sans même m’imaginer que j’allais essayer de financier quoi que ce soit, parce que pour moi, c’est comme une toute petite humanitaire. C’est genre, je vais planter des graines pour changer les esprits, c’est ce que je redonne au monde. Je considère être très chanceux de par la façon dont mes parents m’ont éduqué, ce que j’ai connu, dont mon mindset est structuré. J’ai vraiment la sensation d’être chanceux d’avoir cette vision de la vie et que je puisse la partager, que ça ne me coûte rien de la partager et que ce soit vraiment trop cool de la donner aux gens et de pouvoir changer des vies. Ça m’apporte beaucoup, moi, je kiffe ça.
Et à choisir sur le triptyque, je vais choisir en un l’impact, en deux la liberté et en trois l’argent. Mais c’est important l’argent. Mais toujours dans un autre triptyque aussi dont je parlais juste avant, l’argent, ça ouvre des portes, mais la photo, ça en ouvre encore plus. Le mindset aussi d’ailleurs, ça en apporte. L’influence aussi, ça ouvre des portes.
Donc oui, l’argent, c’est une composante. C’est important l’argent parce que si je veux faire travailler les gens avec moi, il faut que je les paye. À ce titre, ma priorité pour l’argent, c’est de pouvoir payer le studio et les gens dont je vais m’entourer. Mais après le reste, je n’ai pas envie de m’acheter une voiture de ouf. Ce n’est pas mes triggers.
À ce stade, je vois que ça fait beaucoup d’argent et que ça sauve le business. Mais du coup, ça me permet de tout de suite refocaliser sur OK, je vais faire une académie de malade qui va transformer la vie des gens et je vais faire les travaux du studio parce que je n’avais pas toujours fait les travaux, donc, je vais faire un lieu qui est très agréable pour vivre et je vais embaucher des gens. Je vais tout de suite utiliser tout le budget pour embaucher des gens.
Ça a été chaud quand même parce que le COVID a continué et j’ai embauché, j’ai appris le management sur le tas, je ne connaissais pas du tout. Pour moi, le management, c’est quoi ? C’est que tu embauches des gens, ils sont trop motivés et ils comprennent ce que tu veux et on va toujours dans la même direction. Mais dans la vraie vie, ce n’est pas ça. Dans la vraie vie, les gens, ils n’ont pas ta vision. Ce qui te paraît évident, ça ne leur paraît pas du tout évident.
Quand c’est ta propre boîte, tu as une motivation qui est très différente de quand tu es salarié, même si j’embauchais des gens qui adorent ce que je fais et qui sont très motivés. Néanmoins, aussi généreux et sympa soient-ils, ce n’est pas leur life, ce n’est pas leur projet, ce n’est pas leur studio. Quand je bosse un dimanche, je paie le studio aussi, je réalise mon rêve. Il y a mon terrain de jeu ici, les gens que j’ai voulu rassembler. Jamais je ne vais pouvoir trouver la même motivation chez quelqu’un qui est embauché chez moi.
Donc, oui, beaucoup d’argent. Mais très vite, j’ai reswitché. Ça a calmé mon risque de faillite. Et dans ma tête de prison, d’échec, je me suis dit « si je vends le studio et que ça se plante, je n’aurais jamais le courage de refaire un business plan, réemprunter et tout. » Donc, je me suis dit « je sauve le studio ou je change de vie ».
Et je suis combattant, donc je ne lâche pas le truc. J’ai trouvé franchement un dérapage au bord du ravin, il y avait une roue dans le vide et on est réparti. C’était la semaine près, il y a eu le cash. Paf, j’ai envoyé les trucs, c’est passé.
Olivier Roland : Et donc pour accélérer parce qu’il va falloir terminer l’interview, du coup là, aujourd’hui, ta boîte, c’est surtout un business d’infopreneur ?
Steven Herteleer : Alors, maintenant, j’ai 4 boîtes. J’ai appris la même année le management et plein de choses de structuration, de process… C’est plein de choses que j’avais quitté au maximum. Pendant 10 ans, j’ai essayé le maximum de liberté, le moins de contraintes possible. Et en m’entourant de gens, je me suis rendu compte que finalement, plus de liberté, c’était d’avoir plus de structures. Ce qui peut être antinomique.
Olivier Roland : Oui. Très intéressant. D’ailleurs, j’avais interviewé Roman Collignon que tu connais bien parce qu’on s’est rencontré grâce à lui, qui est comme ça, et voilà. Je pense que ce sera un super sujet pour la suite de cette interview, parce que là, j’ai encore plein de questions à te poser. Là, je pense qu’on est à plus de 3h30.
Donc, écoute Steven, merci beaucoup d’avoir partagé tout ça. On se retrouve dans quelques mois pour parler de la suite. Merci d’avoir partagé de manière aussi généreuse tout ton parcours et puis comment tu en es arrivé là. Et dans la suite, on parle de comment tu as mis en place toutes ces structures, ces entreprises et ce qui te fait vivre aujourd’hui et avoir de l’impact. Merci à toi.
Steven Herteleer : Merci. Je n’en peux plus, je suis épuisé, mais c’était passionnant.
Olivier Roland : Tu sais, c’était l’interview la plus longue de ce podcast jusqu’à présent et on a fait de très longues vidéos. Mais vraiment, je n’ai pas vu le temps passé. Excellent.
Steven Herteleer : Oui. Et je me suis senti super guidé par toi. Donc, merci pour l’autoroute d’écoute, les inputs que tu donnes pour m’aider à aller dans la bonne direction. Merci pour tout ça et très heureux d’avoir fait cette interview.
Olivier Roland : Et voilà chers amis rebelles intelligents, si tu es encore là, tu fais partie des 25%, des 20%, des 2% qui sont restés jusqu’au bout. En tout cas, tu fais partie de la minorité motivée. Donc, je suppose que c’est parce que ce podcast t’a plu. Si c’est le cas, tu es libre de laisser un commentaire sur ta plateforme de podcast préféré, et si tu le fais, je t’en remercie par avance parce que c’est grâce à des petits gestes comme celui-ci que ce podcast va toucher davantage de rebelles intelligents et les aider à créer l’aventure de leur vie.
Merci d’avoir écouté ce podcast et à très vite pour le prochain.